RETOUR DE CANNES 2024

15 septembre > 1er octobre
Grâce au Groupement National des Cinémas de Recherche, dont DSN-Dieppe Scène Nationale est adhérente, vous pourrez découvrir en exclusivité 6 films qui ont créé l’évènement dans les différentes sélections du dernier festival de Cannes !

25 septembre > 1er octobre

SEPTEMBRE SANS ATTENDRE

(VOLVERÉIS)

FILM ESPAGNOL DE JONAS TRUEBA (2024 – 1H54)
AVEC ITSASO ARANA, VITO SANZ
QUINZAINE DES CINÉASTES, CANNES 2024

Après 15 ans de vie commune, Ale et Alex ont une idée un peu folle : organiser une fête pour célébrer leur séparation. Si cette annonce laisse leurs proches perplexes, le couple semble certain de sa décision. Mais l’est-il vraiment ?
Le film sur un couple qui fête sa rupture est un nouveau riff enthousiasmant sur la comédie de remariage. – Libération

Dossier de presse

Né à Madrid en 1981, Jonás Trueba réalise son premier long-métrageTodas las canciones hablan de mí en 2010 pour lequel il est nommé pour le Goya du meilleur jeune réalisateur. Suivront Los ilusos (2013),
Los exiliados románticos (2015), Prix spécial du jury au festival de Málaga puis La reconquista (2016) présenté en sélection officielle au festival de San Sebastián et lauréat du Prix Ojo Crítico 2016.
Eva en août, son cinquième long-métrage, lauréat du prix de la critique internationale à Karlovy Vary, est nommé pour le César du meilleur film étranger 2021. Qui à part nous, entre documentaire et fiction, tourné sur 5 ans, est triplement primé au festival de San Sébastián 2021 et remporte le Goya du meilleur documentaire en 2022. Venez voir reçoit le prix spécial du jury au festival de Karlovy Vary en 2022. La même année, le festival Fema de La Rochelle consacre un hommage à Jonás Trueba, en sa présence.
Septembre sans attendre, son huitième long-métrage, est sélectionné à la Quinzaine des cinéastes, Cannes 2024. Jonás est par ailleurs co-scénariste, éditeur, auteur de Las illusiones (éditions Periférica) ainsi que de plusieurs écrits sur le cinéma.

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Septembre sans attendre met en scène un couple interprété par Itsaso Arana et Vito Sanz, avec qui vous avez co-écrit le scénario. Ils étaient déjà ensemble à l’écran pour Eva en août et Venez voir, comment ce nouveau film s’insère-t-il dans votre filmographie ?
C’est un film que j’ai eu du mal à accepter car il est né après l’abandon d’un autre projet. Je me posais alors beaucoup de questions sur mon rapport au cinéma… Et puis, je me suis dit que j’allais essayer de faire une comédie. Septembre sans attendre a surgi rapidement. De l’idée de départ à aujourd’hui, il s’est écoulé seulement un an. Je me réjouis donc de la rapidité avec laquelle on a fabriqué Septembre sans attendre bien qu’une fois terminé, je me suis rendu compte que le film était né d’une rupture, d’un choc et d’un questionnement en tant que cinéaste.

Après Eva en août, on serait tenté d’y voir un « Eva en septembre » …
Dans Eva en août, le personnage interprété par d’Itsaso était doux alors qu’ici, il est dur, plus masculin. Il y a davantage de confrontations. Je disais à Itsaso et Vito, sur le ton de la blague, que ça allait être notre film « de crise » cinématographique, un peu notre Huit et demi. Si l’on compte mon moyen-métrage Miniaturas, c’est vraiment notre huitième film et demi (rires). J’ai tenté d’y agréger les expériences de films antérieurs, et c’était clair : je voulais faire le film avec Itsaso et Vito, et qu’ils jouent un couple (Ale & Alex) pour la troisième fois après Eva en août et Venez Voir. Utiliser les mêmes acteurs pour faire quelque chose de similaire, mais différemment. Je voulais également les associer à l’écriture, n’étant pas prêt à écrire un film seul. J’avais besoin de compagnie pour rire de mes erreurs et mes angoisses. J’ai essayé pour la première fois d’intégrer mon héritage familial, le cinéma classique, et une certaine idée de la comédie.

À l’origine de cette histoire, il y a une idée simple : organiser une fête de séparation. Et pourtant, rien n’explique pourquoi ils se séparent…
Septembre sans attendre repose sur une idée qui est répétée de manière littérale tout au long du film. Quasiment jusqu’à épuisement ! Et pourtant, il n’est jamais dit clairement quel est le motif de leur séparation. Pour moi, c’est important qu’il n’y ait pas de raison concrète, que cela soit presque un mystère, pour éviter que le film devienne trop réaliste. Habituellement, les films sur des couples et des ruptures contiennent un drame évident : les enfants, une infidélité… Pas ici. Je voulais vider le film de tout élément commun, reconnaissable ; qu’il reste éthéré. Ce qui le fait résonner avec les comédies romantiques classiques. Par exemple, j’adore Cette sacrée vérité de Leo McCarey. C’est peut- être le film auquel j’ai le plus pensé. Dès la première séquence, le couple interprété par Cary Grant et Irene Dune annonce : « nous allons nous séparer». Chacun soupçonne l’autre de l’avoir trompé mais, en réalité, cela n’a pas d’importance. L’enjeu c’est la nécessité de se défier l’un l’autre avec cette idée de séparation, car ils savent sûrement que c’est la seule manière de se pardonner et d’éprouver à nouveau leur amour. Dans mon film, il était évident que je ne voulais pas de vraie raison à leur rupture. Il fallait que cela reste une question qui plane au-dessus du film.

Le rythme du film repose sur l’annonce répétée de cette drôle d’idée, célébrer les séparations plutôt que les unions. C’est dans la réaction à cette annonce que réside la comédie ?
Le couple répète sans cesse la même annonce, presque toujours avec les mêmes mots. Mais il y a une variation dans les réactions de ceux qui les écoutent. Et chez Ale et Alex aussi, de manière subtile, à mesure qu’ils perdent leur certitude sur ce qu’ils disent.. J’apprécie la répétition dans le cinéma, en général. Je peux même dire que l’un de mes films préférés, celui que j’ai le plus regardé, c’est Un jour sans fin de Harold Ramis. C’est un film fondamental pour moi. Enfant, je suis allé le voir plusieurs fois, et vivais moi-même dans la répétition de la vision de ce film. Dans Un jour sans fin, Bill Murray change mais les autres agissent toujours de la même façon, alors que dans Septembre sans attendre, c’est la réaction des autres qui change. J’aime la répétition et la travaille de film en film : je mets en scène les mêmes choses, les mêmes personnages, les mêmes espaces. Cela a quelque chose à voir avec la fidélité, qui me tient à cœur.

C’est par le personnage du père qu’arrive l’idée initiale : pourquoi faire de Fernando Trueba, votre propre père, un personnage pivot ?
Le film naît aussi de la relation que j’ai avec mon père, et de ma relation au cinéma à travers mon père. Dans le schéma des comédies de remariage classiques, le père est un personnage récurrent. Il y a toujours un père, un mariage et une fête qui se déroule dans la maison du père. Le film, à notre échelle madrilène contemporaine, rejoue ces stéréotypes.

La phrase sur « les couples qui devraient fêter les séparations plu- tôt que les unions » est vraiment de mon père, qui me l’a dite quand j’étais adolescent. Une seule fois, mais elle est restée. Je l’ai même répétée à des amis alors qu’ils se séparaient. Puis, j’ai réalisé que c’était une idée absurde, très amusante à dire, mais plus compliquée à réaliser… Mais j’ai toujours pensé que c’était ce à quoi servait le cinéma : accomplir dans les films ces choses qu’on n’ose pas faire dans la vie. C’est le cinéma que j’aime et que j’aime faire : une version légèrement améliorée de la réalité.

Septembre sans attendre opère une mise en abyme : on découvre que ce film est aussi le film qu’Ale (Itsaso Arana) est en train de terminer. De là découle un travail particulier sur le montage, qui joue avec le spectateur.
Nous avons filmé Septembre sans attendre à partir d’un scénario, très écrit, puis poursuivi l’écriture au montage. Il est truffé de petits jeux de montage qui sont comme des expérimentations : le split-screen, la transition au volet, les changements d’axes… Ces marques apparaissent à partir du moment où l’on comprend que le personnage interprété par Itsaso, Alejandra, est en train de monter le même film que celui que nous sommes en train de voir. Une absurdité qui fait partie de l’humour du film. Ce n’est pas tellement une question intellectuelle du « film dans le film », mais plutôt comment nos vies et les films s’entremêlent. Ce n’est pas un film qui idéalise l’appartenance au monde du cinéma, mais montre plutôt la difficulté de faire coexister le travail, la vie et l’amour.

Quand on s’est demandé : « quel film est-elle en train de monter ? », j’ai réalisé que je n’avais aucune envie de fabriquer un faux-film. Pourquoi donc ne pas utiliser le film même ? C’est absurde, mais amusant. Quand j’ai finalement assumé ce choix, tous les petits gestes de montage sont apparus. C’est donc aussi un film sur le montage, avec des personnages qui confondent le cinéma et leur vie. La vie est un film mal monté : que se passerait-il si l’on pouvait monter notre propre vie ?

Le personnage joué par Itsaso Arana est la réalisatrice du film auquel on assiste, dans un jeu d’aller-retours intrigants et ludiques, qui nous montre qu’un film est une chose vivante.
Itsaso venait de diriger son premier film, c’était donc déjà une réalisatrice. Je l’ai beaucoup observée sur le tournage [des Filles vont bien] et j’ai vécu de près tout son travail de post-production. Cela m’a aidé à écrire un personnage de réalisatrice, et lui a également permis de rire de ses états d’âme en post-production. Elle s’est d’ailleurs inspirée des miens également, et de ce qu’elle doit endurer quand je termine un film.

Les références participent également à une sensation de mise en abyme.
J’essaye toujours d’avoir des références littérales, visibles. J’aime les mettre sur la table. J’essaye de faire en sorte que les citations, les livres, les morceaux, les films, tout ce qui a été important pendant le processus de création, soit intégré à la mise en scène, dans la narration. J’aime proposer la citation de Cavell aux spectateurs, de la même manière que Cavell cite Kierkegaard dans ses livres. Il y a quelque chose du ciné-essai, d’un film qui peut contenir des liens. Je serais heureux qu’on sorte de Septembre sans attendre en ayant envie de lire l’un de ces auteurs, d’écouter Les égarés de Sissoko, Segal, Parisien et Peirani ou de revoir des comédies de remariage.

Vous plongez dans la pensée de Stanley Cavell et citez textuellement des comédies romantiques classiques : qu’est-ce qui vous attire dans la philosophie du re-mariage ?
Il y a une idée fondamentale dans les comédies de remariage : la conversation est un perfectionnement. La merveilleuse intuition de Cavell c’est que l’amour se construit par la discussion, et par ces questionnements on s’améliore et on peut même atteindre certaines certitudes. C’est une philosophie de la quotidienneté. Si le couple de Septembre sans attendre prépare une fête de séparation, c’est peut-être simplement un moyen de faire quelque chose ensemble. D’ailleurs pour moi, le titre original du film Volveréis (« vous reviendrez ») a quelque chose de méta avec l’idée du remariage : c’est le concept de remariage fait titre.

Vous questionnez également la place des femmes dans la comédie romantique à travers une discussion sur L’Amour est une grande aventure de Blake Edwards. Pourquoi fallait-il inclure cette conversation ?
Depuis quelques années, on s’interroge sur la place des femmes dans la société, et dans le cinéma. Cela fait partie de mes conversations avec Itsaso, avec mes amies. On questionne certains films. Depuis que j’ai rencontré Itsaso, mon regard a changé : à partir de La Reconquista, les personnages masculins ont cessé d’être le cœur de mes films. Je ne le fais pas parce qu’il faut le faire, mais parce que j’ai pu adopter le point de vue de ma compagne, qui s’est mélangé au mien. Depuis Eva en août, je ne pense plus les personnages féminins de la même manière. Je ne les idéalise plus comme dans mes premiers films.

Une phrase prononcée au sujet de L’amour est une grande aventure est particulièrement adaptée à Septembre sans attendre, où la question du ton est fondamentale : « lo que me gusta es que parece una comedia » (« ce qui me plaît c’est que ça ressemble à une comédie »).
On ne peut pas dire de manière évidente que Septembre sans attendre est une comédie. Il y a des prémisses de comédie, mais en est-ce vraiment une ? Sur le tournage, Vito (Alex) et Itsaso (Ale) n’arrêtaient pas de dire que le film avait un ton particulier, difficile à trouver. C’est comique, mais déprimé. Le film confronte deux personnes déprimées, qui tentent de ne pas en avoir l’air. Cela a son charme… Quand Alex dit à propos du film de Blake Edwards : « on dirait une comédie mais c’est un drame, sur la crise de la quarantaine et du couple», il parle de notre film[rires].

On ne peut pas ne pas évoquer la fin de Septembre sans attendre. Le montage s’accélère autour de la préparation de la fête et expose pleinement différentes possibilités, comme pour échapper à la séparation ?
Nous craignions d’arriver à la fin du film, de l’écriture au tournage. Je n’ai pas l’habitude d’avoir les fins clairement en tête. Je préfère les garder ouvertes, y compris dans la manière dont je vais les filmer. À ce titre, Septembre sans attendre est inhabituel : l’issue est connue dès le début. Jusqu’à présent, mes films mettent en scène des personnages qui ne savent pas ce qu’ils veulent. C’est très difficile à structurer car il n’y a pas de direction, contrairement aux films qui me plaisent en tant que spectateur, et que j’envie, où le personnage sait ce qu’il veut ! Donc, pour une fois, je me suis dit que j’allais faire un film dans lequel les personnages savent ce qu’ils veulent : ils veulent se séparer. Mais à mesure qu’on tournait, je me rendais compte que ce n’était plus si clair… [rires] C’est ce qu’il se passe, on dirait qu’ils savent ce qu’ils veulent mais à mesure qu’on s’approche de la fin, les doutes apparaissent.

Finalement, l’émotion transperce la carapace du couple quand ils regardent des vidéos d’eux plus jeunes. Faut-il se voir filmé et amoureux pour l’être à nouveau ?
C’est une scène qui est apparue en fin d’écriture. Nous ne savons pas pourquoi ils se séparent, mais nous ne savons pas non plus quel genre de couple ils formaient. Fondamentalement, on sait uniquement qu’ils veulent organiser une fête de séparation. J’aime qu’au fil de la progression du film, par petite touche, on puisse imaginer quel couple ils ont formé dans le passé. Cette scène des vidéos, c’est exactement cela. C’est mon directeur artistique, Miguel Angel Rebollo, qui m’a dit « j’aimerais voir un souvenir qu’ils partagent ». Le film commence et avance comme s’ils étaient déconnectés de leurs émotions. Ils sont dans un pur présent où seule compte l’idée de se séparer et d’en faire une fête. À mesure que le film avance, ils se souviennent de certaines choses, d’eux-mêmes et ce qu’est leur amour. Au fond, ce film est une thérapie de choc ! Ce sont de vraies vidéos de Vito, qui permettent de figurer un Alex plus jeune et de comprendre qu’elle l’a filmé, probablement beaucoup. Je voulais que le film concède ces informations aux spectateurs afin que Septembre sans attendre s’ouvre petit à petit et devienne généreux.

Propos recueillis et traduits par Victor Courgeon, en visio, en avril 2024.
http://www.gncr.fr

EXTRAITS DE PRESSE

Après quinze ans de vie commune, ils fêtent leur séparation. Une pépite du disciple ibérique de Rohmer. Télérama
Jonás Trueba compose une comédie de (peut-être) remariage absolument enchanteresse, aussi retorse que limpide en apparence, agissant comme un courant profond qui vous emporte sans crier gare au large. Les Inrockuptibles
D’autres matériaux nourrissent la fibre mélancolique de l’œuvre – car on défie quiconque de ne pas être ému. Tel ce faux flash-back d’Alex incrusté dans le récit, en fait une vidéo de l’acteur Vito Sanz jeune, filmé dans la vraie vie par une amie et découvrant Paris, que Trueba transforme en archive des temps heureux. Le Monde
Jonás Trueba redéfinit les codes de la comédie romantique en mêlant audace narrative et exploration des émotions à travers le pari insolite de ses personnages en crise. Bande à part
Retrouvant ses acteurs fétiches, le cinéaste espagnol signe une comédie douce-amère sur la fin d’un couple qui décide de célébrer sa rupture, jouant de la répétition des dialogues et des situations jusqu’au vertige. Libération
Avec une mise en scène virtuose et vertigineuse où la vie et le cinéma se confondent, le très talentueux Jonás Trueba nous entraîne dans une comédie sur la confusion des sentiments. La Croix
Avec Septembre peut attendre, il signe un beau conte d'automne sous influence rohmérienne. Une ode à la crise de la quarantaine et un éloge du couple. Le Point
Ainsi Trueba réussit-il à tresser à même le quotidien un state of the union (film de Capra que Cavell aurait pu inclure dans son corpus) à la fois doublé et réversible : le remariage affleure sous les préparatifs de séparation, mais la joie de ces préparatifs se teinte à son tour d’un sentiment de perte assumé. Cahiers du Cinéma