Découvrez l'histoire tragi-comique d'Yvonne en duo ! Pour l'achat d'une place, DSN vous offre la deuxième.
Est-ce que ça ne sonne pas très glamour tout ça ? Et encore, vous n’avez rien vu !
Dans une cour où règne l’ennui, le prince se pique de défier les lois de la nature : il choisit pour fiancée Yvonne, empotée, peureuse, apathique, sans attrait ni charme aucun et décide qu’il l’aimera. Mais vaniteux et cruel, il n’y tiendra pas et Yvonne ne tardera pas à incarner un défouloir idéal et partagé. Le clinquant vire doucement au cloaque, le simulacre de royaume part en déliquescence et la pauvre Yvonne encaisse…
Dans la mise en scène d’Édith Amsellem, Yvonne, le personnage central, est interprétée à chaque fois par une comédienne différente. Elle devient alors partenaire éphémère et inconnue du reste des interprètes. Tout comme Yvonne, elle devra entrer dans leur jeu. Tout comme elle, nous découvrirons alors les turpitudes de cette caste royale, aussi imbue d’elle-même qu’étriquée dans son royaume de bac à sable.
La truculence du jeu, l’acidité des répliques, le pathétique et le comique des situations font de cette Yvonne une pièce remarquable, divertissante et/ou dérangeante. À vous de choisir !
L’engagement des acteurs, d’ailleurs, force le respect, autant que l’intelligence de l’écriture et le soin extrême apporté à la scénographie. La dramaturgie est, somme toute, classique (élément perturbateur, crise, résolution) (...) mais très efficacement menée. Un spectacle diabolique, tragique, (...) une pièce étonnante et forte. Toutelaculture.com
D’après Witold Gombrowicz. Traduction Constantin Jelenski et Geneviève Serreau • Adaptation et mise en scène Édith Amsellem • Avec Marianne Houspie, Jean-Noël Lefèvre, Stéphan Pastor, Anne Naudon, Camille Régnier-Villard et Frédéric Schulz-Richard + une Yvonne différente à chaque représentation • Création sonore et musique Francis Ruggirello. Costumes Carine Mina. Coiffures et maquillages Geoffrey Coppini. Régie générale Laurent Marro.
Production ERD’O CIE. Coproduction et accueil en résidence Le Merlan scène nationale de Marseille, Théâtre Massalia (Marseille), Théâtre de Châtillon. Coproduction Pôle Arts de la Scène – Friche la Belle de Mai (Marseille). Accueil en résidence La Gare Franche (Marseille). Soutiens DGCA - Ministère de la Culture et de la Communication, DRAC PACA, Conseil Régional PACA, Ville de Marseille, SPEDIDAM, DGCA et SACD : Lauréat 2014 de la bourse à l’écriture Écrire pour la rue.
© photo : JM COUBART, EDITH AMSELLEM
L’espace : les châteaux-toboggans de cours d’écoles maternelles et aires de jeux
La cour imaginaire décrite par Gombrowicz est une cour de sales gosses pourris gâtés, dont les comportements excessifs, cruels et sans pitié nous rappellent amèrement quelques souvenirs peu glorieux de la cour d’école maternelle, où s’opposent à l’infini : les bourreaux et les victimes, les forts et les faibles, les gentils et les méchants, les filles et les garçons... Observer des enfants s’amuser en collectivité dans cet espace clos, est un spectacle vertigineux. On reconnaît les mécanismes de notre société avec le pire et le meilleur des interactions humaines ; des relations s’y nouent et s’y dénouent d’un claquement de doigts, des rires succèdent aux larmes puis aux rires puis aux larmes et la dictature et l’injustice règnent souvent sans mal. Qu’ils jouent à la guerre, au docteur, à papa-maman ou à la maîtresse, tout jeu mis en scène par des enfants révèle des rapports dominants/dominés déchaînés, et se clôture généralement par des cris, des pleurs et la défaite d’une victime. Les enfants vont loin, sont sans pitié, et la loi du plus fort est toujours la meilleure.
En montant Yvonne sur château-toboggan de cour d’école maternelle ou aire de jeux, je souhaite faire transpirer sur le texte, la symbolique exutoire et défoulatoire de cet espace, afin de délimiter une zone libre ou de non-droit, miroir grossissant du monde des adultes singés, dévoilant nos pulsions les moins avouables et nos désirs les plus honteux.
Yvonne arrive à la cour comme un cheveu sur la soupe. Elle vient de nulle part et tout le monde se moque d’où elle peut bien venir. Ne connaissant pas les codes du cirque social qui se joue sous ses yeux, elle va maladroitement se mouvoir dans un monde étranger, préférant ne rien dire et ne rien faire, plutôt que se tromper. Souffre-douleur parfait d’une cour royale qui s’ennuie, elle va se prêter telle une marionnette, aux jeux pervers imposés par le prince et ses amis.
L’état dans lequel Yvonne traverse cette histoire m’a rappelé un cauchemar récurrent : J’arrive dans un théâtre pour jouer un spectacle dont je ne sais plus rien, ni le texte, ni le titre, ni le personnage que je dois incarner. Quelqu’un me pousse violemment au centre d’un plateau qui m’est totalement inconnu, tout le monde me regarde, attend quelque chose de moi, un vide intersidéral m’envahit, je suis pétrifiée, je meurs de honte...
J’ai trouvé dans ce mauvais rêve la clé de la vérité d’Yvonne, le personnage central de la pièce de Gombrowicz. Le rôle d’Yvonne sera interprété par une actrice qui n’aura jamais répété avec nous, qui ne connaîtra pas la mise en scène et qui n’aura jamais rencontré ses partenaires. Pour chaque représentation, une actrice différente sera engagée et projetée dans le spectacle.
Le casting se fera en fonction de critères précis : aisance dans l’improvisation, qualité d’écoute, liberté dans son rapport au corps, audace... Avant chaque représentation, je leur donnerai la nourriture nécessaire pour entrer dans un état et un rythme plus que dans un personnage. Je contractualiserai avec elles le cadre de jeu, ses bords infranchissables et ses zones de liberté. Puis, en complicité avec les spectateurs partageant avec nous l’expérience théâtrale, le risque sera pris : Les Yvonne, en se jetant dans le vide, éclabousseront sur leur passage ce qui a été répété, prévu, attendu…
Les ouvrages de René Girard, La violence et le sacré et Le Bouc émissaire, ont éclairé ma lecture d’Yvonne, princesse de Bourgogne, donnant au texte de Gombrowicz, véritable cas d’école de la théorie du célèbre philosophe et anthropologue, une dimension universelle.
La théorie du Bouc émissaire est un système interprétatif global, une théorie unitaire visant à expliquer le fonctionnement et le développement des sociétés humaines. Le point de départ de cette théorie naît dans le désir mimétique : plutôt que de chercher l’origine de la violence humaine dans un instinct (l’éthologie) ou dans une pulsion (la psychanalyse), Girard voit dans l’imitation des désirs, ce qui conduit à la rivalité et forcément à la violence humaine. A l’origine de toute violence, explique René Girard, il y a le « désir mimétique », c’est-à-dire le désir d’imiter ce que l’Autre désire, de posséder ce que possède autrui, non que cette chose soit précieuse en soi, ou intéressante, mais le fait même qu’elle soit possédée par un autre la rend désirable, irrésistible, au point de déclencher des pulsions violentes pour son appropriation. Que se passe-t-il quand deux individus (ou plus) désirent la même chose ? Ils se battent, voire s’entre-tuent pour l’obtenir. Le désir mimétique engendre forcément des conflits en chaîne, de la violence généralisée, et à terme le chaos.
L’anthropologue observe dans les mythes ancestraux de toutes origines le même dénouement, à savoir la neutralisation de la violence (cette épée de Damoclès qui plane sur l’Humanité) par le sacrifice d’une victime, appelée bouc émissaire. Sa vertu première est de transformer le tous contre tous en tous contre un. Aux yeux du philosophe, le sacrifice n’est pas une affaire religieuse mais une affaire humaine. Si les hommes vont jusqu’à tuer l’un de leurs semblables, ce n’est pas pour faire plaisir aux dieux ou prouver leur foi, mais pour mettre fin à l’hémorragie de violence qui frappe le groupe, et le menace d’extinction. En proie à une violence meurtrière, les sociétés, les groupes, les communautés, choisissent spontanément, instinctivement, une victime, pour jouer le rôle à la fois de pansement et de paratonnerre. De pansement, parce qu’elle va recueillir en sa seule personne toute l’agressivité diffuse et soigner le mal ; de paratonnerre parce qu’elle sera remobilisée, sous forme symbolique, chaque fois que la communauté replongera dans la violence.
Le bouc émissaire humain n’est jamais tiré au hasard, ses qualités victimaires le prédisposent à occuper cette fonction :
1/ il doit être à la fois assez distant du groupe pour pouvoir être sacrifié sans que chacun ne se sente visé par cette brutalité et en même temps assez proche pour qu’un lien cathartique puisse s’établir.
2/ il faut que le groupe ignore que la victime est innocente sous peine de neutraliser les effets du processus.
3/ il doit présenter des qualités extrêmes : richesse ou pauvreté, beauté ou laideur, vice ou vertu, force ou faiblesse.
4/ il est en partie consentant afin de transfor mer le délire de persécution en vérité consensuelle.
Le sacrifice du bouc émissaire permet donc à la fois de libérer l’agressivité collective (exutoire) et de ressouder la communauté autour de la paix retrouvée (pacte). Dans l’optique girardienne, le rite sacrificiel est donc une violence ponctuelle et légale dont la fonction est d’opérer une catharsis des pulsions mauvaises sur une victime indifférente à la communauté parce que marginale. Ainsi, se produit, aux dépens d’un être innocent, une sorte de solidarité dans le crime, qu’on retrouve dans les scènes de lynchage dans l’Histoire (pogrom, lapidations, etc.) ou dans la fiction (La Nuit du Chasseur, M. le Maudit). Le bouc émissaire permet par ailleurs d’expliquer l’émergence du Sacré, car, par un retournement paradoxal, la victime se voit divinisée pour avoir ramené la paix. La victime gît devant le groupe, apparaissant tout à la fois comme la responsable de la crise et l’auteur de ce miracle de la sérénité retrouvée.