THÉÂTRE | DÈS 14 ANS
Mise en scène Dorian Rossel & Delphine Lanza
Compagnie STT
Pleins feux sur Ingmar Bergman, dans l’intimité d’une vie, d’une oeuvre, d’un homme !
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Bergman apparaît sur scène, drôle d’air, fantôme malicieux. On le voit enfant, adolescent ou jeune homme. Devant des jeux d’ombres, il réinvente ses souvenirs, se confie. Avec un humour noir et ravageur, il évoque l’enfance au presbytère, le rite des punitions et des sévices, la froideur de sa mère et l’éducation très rigoriste de son père pasteur.
Le décor minimaliste nous plonge dans la tête du réalisateur comme dans le placard où, enfant puni, il recréait les joies d’un cinéma de fortune par la grâce d’ombres projetées via sa frêle lampe torche. En éclairant les multiples facettes de ce génie protéiforme, Laterna magica dessine un portrait atypique d’Ingmar Bergman. Un portrait en clair-obscur qui entrecroise tourments, rires, joies et fulgurances.
Mise en scène Delphine Lanza, Dorian Rossel. Avec Fabien Coquil, Delphine Lanza, Ilya Levin. Lumières Julien Brun. Musique originale Yohan Jacquier. Costumes Éléonore Cassaigneau. Direction technique Matthieu Baumann. Scénographie Cie STT.
© photo : Carole Parodi, Yohan Jacquier
Production : Cie STT. Soutiens : Pro Helvetia, Corodis, Fondation Meyrinoise du Casino, Loterie Romande, Ernst Göhner Stiftung, École de la Comédie de Saint-Etienne / DIESE # Auvergne-Rhône-Alpes.Cie conventionnée par les Villes de Genève, Lausanne et Meyrin et avec le Canton de Genève et associée à la Maison de la culture Bourges/SN, Les Théâtres Aix-Marseille et La Maison des Arts du Léman, et Artiste associé en résidence au Théâtre Forum Meyrin.
Devant l'admiration de mon père pour Bergman, j'ai longtemps retardé toute approche de son oeuvre. Aucun autre film ne trouvait grâce à ses yeux, aucun cinéaste ne lui arrivait à la cheville. Bergman est tellement constitutif de mon père et au coeur de sa construction intérieure que je me gardais bien de m'y aventurer. J'étais proche du rejet, avant même d'avoir découvert ses oeuvres.
Ma fascination pour la richesse des écritures cinématographique et théâtrale, de leur complémentarité dans l'expression des gouffres humains m'a poussé dans mes retranchements : je ne pouvais plus faire l'impasse sur les oeuvres du « grand maître suédois » de la scène et de l'écran. C'est alors par l'un de ses livres, Laterna magica, que je suis entré dans son oeuvre il y a sept ans. Et la statue du commandeur a été déboulonnée, par Bergman lui même.
Mémoires, ou plutôt antimémoires, ce livre témoigne de blessures et de crises, mais aussi de rêves et de bonheurs. Il foisonne de souvenirs d'un étrange rayonnement et d'une extrême puissance dans une écriture fluide, crue, d'une honnêteté et d'une générosité inattendues. J'avais entre les mains le récit d'un homme sans complaisance sur ce qu'a été sa vie. Une oeuvre d'envergure absolue, autonome et sans filtre, hors de toute chronologie. Bergman y opère une plongée dans les méandres de sa mémoire et navigue sans heurt entre rêve et réalité, mensonge et vérité, vie professionnelle et vie intime : tout y est à la fois traité sur le même plan et d'une profondeur vertigineuse. Comme un poisson sauvage qui revient toujours vers la source d'où il vient, de ce qui l'a construit (ou déconstruit) et qui explore le processus de ce qu'il a dû inventer pour respirer, s'échapper et survivre. C'est un voyage intérieur, dans son espace mental, viscéral, inconscient et sous-terrain.
A défaut d'une introduction à son oeuvre cinématographique et théâtrale, je veux montrer dans ce spectacle les entrailles d'un homme dans toutes ses contradictions et sa complexité. Bergman continue d'imprégner de son aura la création contemporaine probablement parce qu'il laisse derrière lui un héritage total : tout autant l'oeuvre d'une vie qu'une vie à l'oeuvre. Les deux aspects s'imbriquant dans un ensemble dépassant le cadre artistique. Laterna magica apparaît alors comme une vision du monde, d'un monde incarné, tant par la multitude de personnages de chair et d'os qui y gravitent, que par l'ombre qui prend forme sur le mur, à travers la lampe torche du cagibi.
Dorian Rossel
« ll existait, en outre, une sorte de punition spontanée (…) : on vous enfermait, pour un temps plus ou moins long dans une penderie bien particulière. J'étais complètement terrorisé. (…) Cette forme de punition ne m'effraya plus quand je découvris une solution : cacher dans un coin, une lampe de poche à lumière verte et rouge. Lorsqu'on m'enfermait, je cherchais ma lampe dans sa cachette et je dirigeais son faisceau de lumière contre le mur en imaginant que j'étais au cinéma. »
Incontestablement, Ingmar Bergman restera le cinéaste de l'introspection. Mais jamais il ne cherche à faire de son propre chaos une histoire ; il ne participe pas au drame, il le traduit, le matérialise, le sublime.
Laterna magica est dans ce sens-là plus auto-analyse qu'autobiographie ; rien n'y est chronologique, mais tout a une logique interne qui nous parvient sans filtre. Comme une porte entrebâillée qui nous invite à entrer dans l'univers mental de l'artiste. Une invitation à visiter son monde intérieur.
Ce livre est un dévoilement souvent cruel et douloureux où la folie destructrice, la fuite dans le travail et la séduction tiennent la plus belle des places. Peu d'artistes sont allés aussi loin dans les profondeurs du psychisme humain, n'ont fouillé avec tant d'acharnement les zones obscures et irrationnelles de l'homme, en puisant dans les racines de leur propre enfance, de leurs rêves et de leurs obsessions.
Révéler le manque, le creuser jusqu'à l'abîme, jusqu'à ce que le masque-mensonge tombe et que le visage-vérité apparaisse. Car l'essentiel est au-delà des mots. Voilà pourquoi, chez Bergman, la parole est toujours nimbée d'un halo de silence. Ce silence, éclairant, assourdissant, comme l'expression d'une vérité toujours insaisissable.
Toute son oeuvre le prouve : Bergman fut un homme de chair et de sang autant que d'esprit, tissant avec sa création les fils fantasmés, chatoyants et tourmentés d'une vie pleine d'inquiétude, de drame et de fureurs introspectives. Mais la noirceur métaphysique de l'oeuvre et l'amertume des interrogations existentielles qui s'y expriment ne devraient pas faire oublier le féroce appétit de vivre et de jouir qui s'y fait jour. Tout Bergman est dans cette tension, et toute son oeuvre, si empreinte de lui-même, trahit cette inexorable dualité.
Sur scène
Un duo d'acteurs occupe l'espace, comme une pensée divisée occupe un labyrinthe mental. Nous sommes tout à la fois dans la tête de Bergman, dans une chambre noire, lieu de toutes les projections, et dans le placard où il était puni enfant.
Dans cet espace, une déchirure. Fenêtre ou écran, celle-ci devient le lieu du présent et du fantasme, du réel et de la fiction. Un poste d'observation propice à la rêverie
Angle dramaturgique, le réel et le fantasme
Mais par quel paradoxe magique, la fiction est-elle plus à même de révéler la vérité profonde d'une époque et d'un être humain, qu'une étude historique, psychologique, ou documentaire ?
La vérité pour l'artiste est l'objet d'un quête : rendre visible l'invisible, faire entendre l'inouï. Il crée un monde parallèle et celui qui y pénètre ne trouve ni message, ni morale, ni leçon, mais se rencontre lui-même. Pour le pire parfois mais aussi souvent pour atteindre un nouvel état de vibration.
Laterna magica est précisément pour Bergman le lieu de l'interrogation des valeurs ambiguës de la vérité et du mensonge : « Difficile de faire la différence entre ce qui était le fruit de mon imagination et ce qui était considéré comme réel. Avec un effort, je pouvais peut-être forcer la réalité à demeurer réelle, mais (..) que fallait-il que je fasse des fantômes et des spectres ? ».
L'affirmation d'une vérité fige, empêche le sens de rayonner, enferme dans la mort. C'est un poids dont Bergman tente de se libérer, lui qui s'est sauvé par le mensonge. Et en voilant la vérité, en la cachant, il lui redonne son éclat.
« Je crois être celui qui s'en est le mieux tiré, avec le moins de dégâts, en me faisant menteur. Je me suis créé un personnage qui avait fort peu à voir avec mon véritable moi. Comme je n'ai pas su séparer ma création et ma personne, les dommages qui en découlèrent eurent longtemps des conséquences à la fois sur ma vie d'adulte et sur ma créativité. Il m'arrive parfois de me consoler en me disant que celui qui a vécu dans le mensonge aime la vérité »
Dorian Rossel
Metteur en scène
Franco-suisse, Dorian Rossel sort diplômé de l'Ecole Serge Martin à Genève en 1996. Il mène ses premières créations avec le collectif transdisciplinaire Demain on change de nom (1998–2005). En 2004, il fonde la Cie STT. Anne Bisang l'invite comme Artiste Associé à la Comédie de Genève où il crée Quartier Lointain, Soupçons et L'Usage du Monde. Au Théâtre Am Stram Gram, il monte La Tempête de Shakespeare dans une version tout public. Puis il chemine au côté de René Gonzalez comme Compagnon du bord de l'eau au Théâtre Vidy Lausanne. Il tourne avec différents spectacles dont Quartier Lointain au Monfort et au Théâtre de la Ville. En 2012 il devient Artiste Associé au Théâtre Forum Meyrin dirigé par Anne Bruschweiler.
En 2014 il crée Oblomov à la Comédie de Reims en tournée et au Festival Off d'Avignon et Une femme sans histoire à La Bâtie en co-production avec Bonlieu SN d'Annecy et en tournée. Dans un souci de médiation il crée L'avare pour les classes. Il donne divers stages de formation à la Manufacture, à la Haute Ecole de Théâtre de Suisse Romande, à l'ERAC à Cannes et à l'Ecole de la Comédie de Saint-Etienne. En 2016 il crée Voyage à Tokyo avec Yoshi Oida, fidèle acteur de Peter Brook.
Historique de la Cie STT
La compagnie STT a été fondée en 2004. Entouré d'une équipe fidèle, Dorian Rossel favorise le travail d'échange et de partage entre tous les intervenants et confère une place majeure aux artistes en scène (acteurs, danseurs, musiciens…).
Un des traits distinctifs de la compagnie réside dans le choix des textes, qui ne sont généralement pas empruntés au répertoire théâtral : un œuvre romanesque, un film, un essai, un article, une problématique, une bande dessinée, une partition musicale. Les spectacles sont conçus dans un va-et-vient entre l'élaboration dramaturgique et le travail du plateau. La dimension empirique de la démarche est fondamentale, qui implique une réévaluation permanente de ce qui se construit au fil des sessions de recherche et des répétitions. Le travail choral est aussi fondamental, les acteurs étant quasiment toujours tous en scène, passant d'un personnage à un autre sans qu'aucun réalisme ne soit recherché. De ce fait, l'illusion théâtrale est affirmée. Nous privilégions donc les ressources cachées du théâtre, l'inventivité de la scène, par une esthétique qui préfère les vides que les pleins, la retenue plutôt que les effets spectaculaires. Cela afin de laisser les « œuvres ouvertes », invitant le spectateur à combler les « vides » par son imaginaire.
« La silhouette de sa mère, jouée par Delphine Lanza, passe et repasse derrière le drap, spectre gracieux qui hante la scène comme elle a hanté sa vie, et l'on s'émerveille de ces trouvailles simples, qui jamais ne singent les images du maître, mais permettent à ses paroles, sur le mensonge et l'illusion, l'obsession des apparences, la direction d'acteurs et la mise en scène de résonner. Lumineuse d'intelligence, parfois acide, cette pensée façonnée par le désir, la frustration et la cruauté dévoile ce que Bergman a pu chercher, et trouver, dans le théâtre et le cinéma, une manière de magnifier la terreur et le manque d'amour, les tenir à distance et les transfigurer. » Libération
« Dorian Rossel, dont le théâtre se nourrit très souvent de cinéma – il a notamment adapté La Maman et la Putain de Jean Eustache, Voyage à Tokyo d'Ozu et Le Dernier Métro de François Truffaut –, réussit à donner l'illusion de la simplicité alors que chaque son, que chaque lumière sont calculés. L'inquiétude permanente de Bergman, son obsession de la mort qui cache un profond amour de la vie, son humour qui cajole le genre humain autant qu'il le voue aux gémonies… Tout est là dans ce Laterna magica, avec d'autant plus de force qu'on ne le voit presque pas. » La Terrasse
« Mettre en scène le texte autobiographique du dramaturge suédois Ingmar Bergman : la tâche ne s'annonçait pas simple. Car il nous y parle pêle-mêle de ses souvenirs d'enfance, de ses amours, de l'art de la mise en scène…. Dorian Rossel et Delphine Lanza le font avec justesse et minimalisme. Une toile blanche et une chaise, quelques plantes et de simples panneaux posés au sol comme des pans de mémoire éparpillée… Et qui se redresseront pour former des figures. On plonge avec un très bon comédien, Fabien Coquil, diplômé en 2018 de l'école de Saint-Étienne, dans les souvenirs parfois durs du Suédois : sa relation avec un père teigneux, son amour inconditionnel de sa mère, ses disputes avec son frère, son amour de la discipline de travail… et même sa fascination pour Hitler. De terribles confessions qu'on écoute bouche bée. » Le Point
« De Quartier lointain, le manga de Jiro Taniguchi à La Maman et la putain , le film de Jean Eustache, le metteur en scène suisse Dorian Rossel aime porter à la scène des textes non théâtraux. Il le prouve une nouvelle fois avec Laterna magica, l'autobiographie d'Ingmar Bergman. On ne présente plus l'illustre metteur en scène et cinéaste suédois, fils de pasteur et artiste tourmenté. Fabien Coquil, lui, gagne à être connu. Le jeune comédien dit magnifiquement, et non sans humour, les mots et les souffrances de Bergman. » Le Figaro
« la simplicité du travail scénographique, l'intelligence dramaturgique et une remarquable interprétation font de ce spectacle une incontestable réussite. (...) Dans une langue simple et épurée, comme la scénographie qui, à partir d'un grand tulle blanc et de quelques planches de bois, parvient à composer des univers suggestifs, bien que parfois inaboutis, Laterna Magica prend, comme La Maman et la Putain, la forme d'un hommage bien vivant au passé, délicat et sensible, autour d'un homme qui n'a trouvé que les masques et le mensonge pour répondre à sa soif de vérité. » Scèneweb.fr