Chômeur, n.m., travailleur de la réserve.
«C’est l’histoire d’un mec qui cherche une alternative à ce qu’on lui propose. C’est l’histoire d’un mec qui s’oppose à la proéminence cancéreuse de la valeur «travail» dans nos civilisations. C’est l’histoire d’un mec qui se sent inadapté. C’est l’histoire d’un taré qui ne parvient pas à se conformer au monde dans lequel il vit….» Bref, c’est l’histoire d’un individu qui s’interroge à propos de sa place dans l’espace social, qui la cherche. Partant du postulat de Karl Marx qui affirme qu’une armée de réservistes au travail est nécessaire au capitalisme, il pousse l’idée jusqu’au bout et nous interroge, nous prend à partie, à témoin. La mise en scène aussi questionne les codes établis : trois comédiens – dont une comédienne – pour interpréter le réserviste, un chercheur en sciences humaines différent à chaque représentation pour un éclairage complémentaire aux propos de la pièce, les spectateurs sur le plateau… Tout pour un nouveau regard sur la condition de l’homme, au travail ou pas.
« Ça court entre les travées, ça « ping-pongue » un texte dynamique, drolatique et profond sur la condition de l’homme qui pourrait avoir des compétences mais finalement pas celles dont on a besoin. » La Provence
Texte Thomas Depryck • Conception et mise en scène Antoine Laubin • Avec Angèle Baux, Baptiste Sornin, Renaud Van Camp et Julie Noack, doctorante en philosophie et anthropologie à l'ENS Lyon • Dramaturgie Thomas Depryck. Assistanat à la mise en scène Axel Cornil. Direction technique Gaspard Samyn. Production Cora-Line Lefèvre.
Production De Facto asbl. Coproduction le Théâtre de la Vie. Soutien Théâtre National et L’L – Lieu de recherche et d’accompagnement pour la jeune création (Bruxelles). De Facto reçoit l’aide de la Fédération Wallonie-Bruxelles – Service du Théâtre
© photo : Alice Piemme AML, J. Van Belle WBI
JEUDI 12 JANVIER, HALL DE DSN
Avant ou après le spectacle, La Grande Ourse (librairie café dieppoise) sera présente dans le hall de DSN et proposera des œuvres en rapport avec le spectacle. [+]
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Le texte de Thomas Depryck fait saillir les absurdités d'un système profondément assimilé. En apparence, nous nous en amusons. Mais le rire proposé ici est iconoclaste et libératoire : nous rions pour ne pas pleurer, tant l'injustice sociale nous désespère et nous semble chaque jour un peu plus au coeur des fonctionnements contemporains. Nous rions aussi comme une ébauche de réponse : l'esquisse d'un « être ensemble » se déploie dans toutes les salles de théâtre du monde, même si partout autour le monde nous isole, nous confine, nous renvoie à une fonction de consommateur docile.
Puisque d'autres, plus qualifiés que nous, réfléchissent au quotidien aux alternatives possibles, nous avons convié sur scène, avec nous, vingt-et-un invités qui, soir après soir, viendront apporter un éclairage particulier sur le sujet que nous traitons. Nous les remercions chaleureusement.
À sa manière et avec ses moyens propres (ceux de l'imaginaire, du sens, du rassemblement des individus), le théâtre lutte. En ouvrant la scène du Réserviste à d'autres disciplines, nous souhaitions (nous) rappeler qu'il n'est pas le seul et que d'autres modèles de société sont possibles.
Antoine Laubin
THOMAS DEPRYCK
Thomas Depryck est né en 1979. Il est l’auteur ou co-auteur de plusieurs textes théâtraux dont Dehors (2011), Le Réserviste (2009), Etreintes dans le noir (2010), L.E.A.R (2013), Heimaten (2016). Il a été nommé aux Prix de la critique Théâtre et Danse de la Fédération Wallonie-Bruxelles saison 2012-2013 et 2014-2015 pour son texte Le Réserviste, il a reçu le Prix Georges Vaxelaire de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique en 2013 pour Dehors et Le Réserviste. Il est également le co-adaptateur de la version scénique des Langues paternelles (2009) et de celle de Démons me turlupinant (2015). Il collabore principalement avec le metteur en scène Antoine Laubin, à l’écriture comme à la dramaturgie. Dehors et Le Réserviste ont été publiés en un seul volume par Lansman, L’l et le CED en 2013. Il a co-écrit Ballade en mondes mineurs, publié en Bookleg, chez Maelström, en 2010.
ANTOINE LAUBIN
Né en 1980, Antoine Laubin s’est fait connaître par son spectacle Les Langues paternelles. Créées en 2009, grand succès du festival off d’Avignon en 2010 (au Théâtre des Doms), Les Langues paternelles ont été jouées plus de cent fois à travers la francophonie et au-delà et ont récolté partout un grand enthousiasme public et critique (« Meilleure Découverte » aux Prix de la critique de la Fédération Wallonie-Bruxelles, « Coup de cœur » du Club de la Presse au festival Off d’Avignon).
Avant cela, Antoine Laubin avait créé une série de spectacles en marge de l’institution de 2003 à 2008.
Ensuite, en résidence à L’L (lieu de recherche et d’accompagnement pour la jeune création, Bruxelles), trois recherches ont été développées en collaboration avec l’auteur et dramaturge Thomas Depryck : « Dehors » (créé au Théâtre de Namur en octobre 2012, reprise à L’L en mars 2013 puis au festival Impatience en mai 2013, au festival Fast Forward dont il gagne le prix en novembre 2013 et au festival Premières en juin 2014), « Le Réserviste » (création de la version courte au festival XS en mars 2013, reprise à l’Intime festival à Namur en août 2013, création de la version longue au Théâtre de la Vie (Bruxelles) en février 2015) et « L.E.A.R. » (d’après King Lear de Shakespeare, création en octobre 2013 dans les quatre Centres dramatiques de la Fédération Wallonie-Bruxelles : Théâtre de Namur, Théâtre Varia, Théâtre de la Place, Manège.Mons).
Durant la saison 2014-2015, trois nouveaux spectacles ont été créés : Démons me turlupinant d’après le roman de Patrick Declerck au Rideau de Bruxelles, la version longue de Le Réserviste au Théâtre de la Vie et Szenarios d’après le texte de Jean-Marie Piemme au Staatstheater de Braunschweig (Allemagne). Actuellement, Antoine travaille à la préparation de trois nouveaux spectacles : Il ne dansera qu’avec elle (création au Varia et au Théâtre de Liège en 2016-2017), Heimaten (création du prologue au Festival XS en mars 2016) et Presque ailleurs (spectacle conçu avec Patrick Declerck).
Combinant écriture de plateau et travail du texte (théâtral ou non, littéraire ou non), Antoine Laubin développe un théâtre-récit à la fois ludique et noir. Ses dispositifs de mises en scène s’attachent à métaphoriser les impasses des systèmes sociaux contemporains et à cristalliser les points de rupture entre normes collectives et individus.
Par ailleurs, il intervient comme conférencier en dramaturgie et en art dramatique à Arts ² (École supérieure des arts à Mons) et est membre du groupe de lecture du Théâtre de Namur. Depuis 2008, il est membre du comité de rédaction d’Alternatives théâtrales, revue dont il co-dirige la publication depuis janvier 2016 et dont il anime le blog. Il écrit régulièrement des textes critiques consacrés au théâtre contemporain. Il est également l’un des huit membres fondateurs du groupe de travail Conseildead, constitué lors de la mobilisation du secteur des arts de la scène de Belgique francophone à l’automne 2012 puis co-fondateur de la CCTA (Chambre des compagnies théâtrales pour adultes, 67 compagnies membres en Belgique francophone), association dont il est élu administrateur en mars 2015.
On a aimé la mise en scène inversant les rôles pour placer les spectateurs sur le plateau et les comédiens au milieu des gradins, enjambant les sièges comme autant de haies dans cette course d'obstacles qu'est la recherche d'un emploi. On a aimé la simplicité de cette bande blanche, délimitant l'espace de jeu tout en évoquant les files de chômeurs. Mais on a surtout aimé le texte de Thomas Depryck, formidable contre-pied au mépris généralement porté aux chômeurs dans une société qui a érigé le travail en valeur absolue. Le Soir
La pièce est servie par un trio de comédiens —Angèle Baux, Baptiste Sornin, Renaud Van Camp— truculents, expressifs, jamais ennuyeux, et qui montrent, lors du débriefing, qu’ils ne sont pas là pour uniquement recracher le texte de Thomas Depryck et appliquer les consignes d’Antoine Laubin, mais qu’ils ont potassé le sujet et ont prolongé la pièce hors théâtre, en réfléchissant à ce que les experts qui se sont succédé sur scène ont apporté comme pistes de réflexion. Caustique, mais pas aigrie, souvent hilarante, mais avec du fond, intello, mais pas trop, la pièce LE RÉSERVISTE est un habile appel à la réflexion sur un sujet qui nous concerne tous. Walter Géhin, Plusdeoff.com
Thomas Depryck est la plume la plus passionnante du moment. Son fabuleux « Réserviste » reprend du service au Théâtre de la Vie après la création de « Démons me turlupinant » au Rideau.
On les avait repérés avec Les langues paternelles, avant qu’ils ne confirment leur talent avec Le Réserviste et L.E.A.R. Antoine Laubin et Thomas Depryck forment le duo théâtral qui compte sur la scène belge francophone d’aujourd’hui.
A la mise en scène le plus souvent, Antoine Laubin aimante les projecteurs mais Thomas Depryck, plus discret, n’imprime pas moins sa marque sur leurs créations. Auteur ou dramaturge, il injecte des thématiques très sociales dans leur travail. Après avoir mis en scène Dehors de Patrick Declerck, les acolytes reviennent à l’anthropologue romancier avec Démons me turlupinant, récit entre l’autobiographie et l’évocation critique de la psychanalyse. Mais ce qui nous a le plus bluffés jusqu’ici reste Le Réserviste, une satire absurde et ludique du chômage de masse actuel, ou comment un chômeur se fait le héros du système, l’armée de réserve du grand capital.
Comment fonctionne votre duo avec Antoine Laubin ?
On ne se définit pas de rôle précis. On revoit notre manière de fonctionner à chaque création. C’est plus une histoire d’amitié qu’une histoire professionnelle. On était en romanes ensemble. On avait plein d’intérêts communs en cinéma, littérature, théâtre. On a fait du théâtre universitaire amateur, puis Antoine a créé De Facto auquel il m’a associé. En général, soit j’écris, soit nous écrivons ou adaptons ensemble, soit je fais la dramaturgie et je donne mon avis sur le plateau pour maintenir un dialogue constant sur la pertinence de ses options.
Le « Réserviste » et sa thématique du chômage paraissent de plus en plus d’actualité ?
Sans doute. Il suffit de voir ces 30.000 chômeurs wallons qui vont être exclus à partir de janvier. Pourtant, l’idée selon laquelle les chômeurs sont nécessaires au système est déjà contenue dans le Capital de Marx. Il faut de la main-d’oeuvre disponible pour faire tourner la machine. C’est le même principe que les clochards (le thème d’une autre de ses pièces, Dehors, NDLR) qui sont des victimes sacrificielles : ils sont nécessaires pour montrer qu’il n’y a pas d’alternative à la normalité, qu’il faut travailler au risque de subir le même sort qu’eux. Nous partageons tous ce cynisme sans l’assumer. Pour Le Réserviste, certaines lectures m’ont marqué, notamment Jeremy Rifkin et La fin du travail, mais aussi Paul Lafargue et son Droit à la paresse, ou Bertrand Russell et son Eloge de l’oisiveté.
Le « Réserviste » a été créé au Festival XS dans une forme courte de 25 minutes. N’est-ce pas risqué d’allonger la sauce ?
En fait, Le Réserviste n’a pas été créé pour le XS, le texte existait déjà pour durer une heure et demie. Au Théâtre de la Vie, nous allons monter une version de 45 minutes qui sera suivie d’un débat sur le travail avec un invité. On va conserver la démultiplication du personnage en trois comédiens, les mêmes qu’au XS, tout comme l’inversion du rapport scène – salle (le public est sur le plateau, les comédiens dans les rangées de fauteuils, NDLR). Ce dispositif permet d’évoquer l’idée du texte : le personnage principal est une sorte de héros du chômage, qui n’est plus à la marge mais à l’avant-plan et revendique son statut de réserviste.
Catherine Makereel - Mad