EXTRAIT VIDÉO
Un reportage d'ARTE sur "Au temps où les Arabes dansaient… " qui annonce la représentation à Dieppe (visible jusqu'au 25 mars 2015) : lien.
Le chorégraphe tunisien part à la reconquête de la danse du ventre pour évoquer la féérie d’un monde perdu et l’âpreté des dogmes actuels.
Quand on parle de danse orientale, de danse du ventre, on pense très vite à des corps de femmes révélés par des voiles transparents, ondulant sur une musique arabe traditionnelle. Radhouane El Meddeb convoque cette mémoire collective mais l’incarne dans un quatuor d’interprètes masculins, vêtus de pantalons et chemises, évoluant sur un plateau nu, parfois sans musique. C’est fascinant et déroutant ces corps d’hommes qui cherchent et dessinent les mouvements particuliers de cette danse traditionnelle et féminine. Les bassins ondoient, s’avancent, chaloupent, revendiquent, s’alanguissent, vibrent, zigzaguent et offrent une chorégraphie des plus exigeantes, précise, envoûtante. Entre les contraintes de la morphologie, des déplacements, sans oublier celles de la tradition, les corps recherchent une liberté, dans laquelle les interprètes exulteront finalement, torses nus, sourires et complicités affichés, émancipés.
« Il faut tenir, nous confie Youness Aboulakoul. Notre ventre doit parler de la nostalgie et dépasser la technique. » « Il y a de la politique dans cette performance physique », poursuit Arthur Perole. Pour Philippe Lebhar, « nous devons montrer dans nos gestes répétitifs un cri de révolte contre l’oppression en allant au-delà de la simple mécanique ». Rémi Leblanc-Messager explique que ces rotations cassées sont « chargées. On ne débite pas du mouvement. Il faut y mettre des qualités de force, de haine, de nostalgie ».Mission accomplie. L’HUMANITÉ
Les hommes arabes ont toujours caché leur propre féminité. Et aujourd’hui, il semble que tout le monde ait peur de bouger et de s’exprimer. D’où mon envie de mettre en avant ce bassin qui vibre ! RADHOUANE EL MEDDEB
Un reportage d'ARTE sur "Au temps où les Arabes dansaient… " qui annonce la représentation à Dieppe (visible jusqu'au 25 mars 2015) : lien.
Cette pièce, initialement un projet de cabaret, a, au fil des répétitions et des événements politiques, évoluée vers plus de radicalité. J’ai été comme empêché d’aller vers la forme du cabaret pour célébrer ce monde disparu.
Les Arabes ont longtemps vécu sur des rythmes magiques, ceux des films des années 40, 50, 60 et 70… avec leur féérie, leur décor de carton-pâte et leur atmosphère toute faite de faux et de clinquant. Les acteurs chantaient sans cesse, dansaient, s’aimaient sur les grands écrans des nombreux cinémas, puis dans le cadre des télévisions des salons familiaux. Sans condamnation, sans prohibition, nous contemplions le monde brillant, laqué et fardé de ces demi-dieux de la comédie, nous suivions leurs drames et leurs émotions, nous fredonnions les chants qu’ils entonnaient.
La danse du ventre survenait, elle prenait sa place, en acmé du film ou du spectacle, comme en son centre. Le ventre et son nombril étaient le lieu où convergeaient nos regards fascinés.
Aujourd’hui que la nostalgie elle-même semble lointaine, alors que nous repensons à cet âge d’or, à ces années de gloire et de fausses blondeurs, la danse (des) arabe(s) apparaît comme l’épicentre de secousses à venir, le nombril semble vibrer et vriller, au bord du précipice, flirtant avec le chaos.
La violence de notre monde a pénétré le carton-pâte des décors, elle le renverse pour en signifier la fin, la fin d’un temps qui n’était qu’illusion, une illusion douce, sucrée, ronde.
Au temps où les Arabes dansaient… est l’écho lointain de ces chants et ces danses, pris dans la tendresse de l’espoir et du souvenir, dans la ferveur des cœurs et des corps. C’est aussi l’une des faces d’un présent cruel, terne et frappé de stupeur.
RADHOUANE EL MEDDEB
Séquence transe au CentQuatre
(…) Autre moment attendu, Au temps où les Arabes dansaient… (quel beau titre déjà !) est une création de Radhouane El Meddeb qui s’inscrit dans le présent pour revisiter cette nostalgie d’un « âge d’or » (en gros les années 50-60) où, « sans condamnation ni prohibition, un monde brillant, laqué et fardé » s’abandonnait à l’hédonisme des cabarets et du cinéma populaires.
Sensualité. Variation inspirée sur le thème – si hautement fantasmatique – de la danse du ventre, Au temps… fait néanmoins le choix exclusif (et partant, assez courageusement radical) d’une masculinité spécifiant d’emblée le point de vue. Rechignant à la moindre concession (hormis ce clin d’œil conclusif d’images vintage projetées en fond de scène), la pièce opte, par exemple, pour un quasi-silence pendant toute sa première moitié, qui voit quatre hommes multiplier les allers-retours en déhanchements théoriquement lascifs, mais dont on ne peut s’empêcher de noter qu’ils renvoient aussi à une contemporanéité autrement convulsive. Emprunte d’une sensualité bravache, la danse ressemble ainsi à un exutoire. Poussant les interprètes dans leurs ultimes retranchements physiques, elle n’élude pas la question de la séduction (aussi bien homo qu’hétéro, du reste), au cœur même du propos, mais dit le trouble quand, par exemple, un des interprètes ôte sa chemise trempée de sueur pour la transformer en un voile couvrant la tête d’un de ses partenaires. (…)
GILLES RENAULT ET MARIE-CHRISTINE VERNAY – LIBÉRATION – MARS 2014
Le nombril de la danse
Hasard des calendriers, deux artistes masculins s’emparent de la danse du ventre d’origine égyptienne pour donner à voir un autre corps, mâle celui-ci, hors norme. Radhouane El Meddeb est tunisien, installé en France où il est artiste associé du turbulent Centquatre. Venu du théâtre, il a imposé son stylé chorégraphique en quelques pièces. Libanais, Alexandre Paulikevitch est une figure du Beyrouth arty et engagé – il a notamment créé une « Laïc Pride » dans sa ville, avec la danseuse Yalda Younes. L’un comme l’autre approchent la danse du ventre et tout ce qu’elle véhicule de clichés.
Hommage au cabaret. El Meddeb voulait au départ rendre hommage au cabaret, « un monde disparu » dit-il. La danse du ventre, dans les films et dans les spectacles en était l’acmé. « Le ventre et son nombril étaient le lieu où convergeaient nos regards fascinés. » Maniant le souvenir plus que la nostalgie, le chorégraphe met en scène des hommes alignés puis qui ondulent du bassin tout en évitant la parodie. En révélant la part de féminité du danseur, Radhouane El Meddeb pointe également du doigt la dérive actuelle dans certains pays arabes où ces danses légères n’ont plus vraiment droit de cité. Et lorsqu’un interprète porte le voile l’espace d’un instant, la gravité de cette création se fait jour. (…)
PHILIPPE NOISETTE - LES ECHOS – 20 FEV 2014