LES INCONTOURNABLES

DES FILMS MYTHIQUES DE RETOUR SUR GRAND ÉCRAN EN VERSION NUMÉRIQUE RESTAURÉE
19 > 23 JUILLET

Partie de campagne

FILM FRANÇAIS DE JEAN RENOIR | 1946 | 0H40
AVEC SYLVIA BATAILLE, GEORGES DARNOUX, JACQUES BRUNIUS

Par un beau jour d'été, Monsieur Dufour quincaillier emmène sa femme, sa belle-mère, sa charmante fille Henriette et Anatole, le commis du magasin, pique-niquer au bord de la rivière. Le repas pris, les deux hommes vont pêcher et Henriette et sa mère font un tour en barque avec deux jeunes gens, lorsqu'un orage éclate…

En complément :
La Direction d'acteur par Jean Renoir de Gisèle Braunberger | 1968 | 0h22

HORAIRES

17 > 23 JUILLET
vendredi 17:30 | 18:30
samedi 16:00
mardi 16:00 | 19:00 D

Dossier pédagogique

LE MOT DES EXPLOITANT·ES
La Direction d'acteur par Jean Renoir
Lire un texte comme on lit l’annuaire téléphonique ? C’est la leçon que Renoir donne à Gisèle Braunberger qu’il reprend patiemment dans sa découverte d’un monologue tiré du Fleuve. Débarrassé de toute inflexion artificielle, le texte se révèle. Mais c’est surtout ce « mystérieux mariage » entre l’acteur et le personnage (selon une expression de Renoir), que l’on retient de ce court métrage magistral, formidable pour pénétrer dans l’univers du cinéaste.

 

Partie de campagne
L’adaptation de la nouvelle de Maupassant offre à Renoir le cadre d’une chronique tendre et mélancolique, où les sens des personnages frémissent comme la lumière à travers les feuillages et leur bonheur semble aussi fugace que la pluie qui s’abat sur eux. Un film majeur, incroyablement libre et moderne.

Cécile Nhoybouakong - Auditorium Seynod
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Texte de Charlotte Garson, Critique et rédactrice en chef adjointe aux Cahiers du cinéma

Renoir, naissance de l'émotion
Qui eût cru que juste après La Vie est à nous, marqué par sa proximité avec le Parti communiste, Jean Renoir adapterait une nouvelle de Guy de Maupassant, Une partie de campagne ? Le cinéaste a souvent dit qu'il s'était lancé dans le cinéma au milieu des années 1920 pour faire de son épouse Catherine Hessling une vedette. Quinze ans plus tard, son producteur Pierre Braunberger et lui sont sous le charme de Sylvia Bataille, qui jouait dans Le Crime de monsieur Lange en 1935. Renoir, relisant Maupassant, l'imagine en Henriette, la petite-bourgeoise de la nouvelle écrite en 1881. Le tournage s’effectue sur les rives du Loing, près de Marlotte en Seine-et-Marne, haut lieu de l’impressionnisme où Jean Renoir a acheté la Villa Saint El en 1922. Il est tellement dans son élément qu’il s’invente sur mesure un personnage de patron d'auberge alter ego du metteur en scène flanqué d'une cuisinière jouée par sa compagne et monteuse Marguerite Houllé Renoir. Le futur photographe Henri Cartier-Bresson et les futurs cinéastes Jacques Becker et Luchino Visconti, assistants, en prennent de la graine.

Mais l’été 1936, le premier des congés payés, s’avère très pluvieux. D’amical, le tournage devient difficile puis orageux quand Renoir s’absente pour s’occuper de son film suivant, Les Bas-fonds. L’opérateur Claude Renoir, en attendant, filme la pluie sur la rivière : on lui doit les images poétiques de la Partie, qu’un chant à bouche fermée de Germaine Montero sur une musique de Joseph Kosma rendra inoubliables. Inachevé, Partie de campagne, à l’initiative de son producteur, sera monté dix ans plus tard par Marguerite et distribué en salles en 1946. Renoir, qui s’est alors exilé aux États- Unis, approuve la sortie sans avoir vu ce montage. Il ignore qu’il a signé là l’un de ses chefs-d’œuvre : l’inachèvement y côtoie la complétude, mais c’est là son sujet même.

L’intrigue a les apparences d’une satire bouffonne de la petite bourgeoisie : une famille de commerçants parisiens, grand-mère dure d’oreille comprise, se met au vert près de Fontainebleau. Mère et fille ouvrent leurs sens au semblant de nature qui les entoure, tandis que le père et le fiancé d’Henriette, excités par une partie de pêche, laissent les deux femmes aux mains de deux canotiers cherchant la bagatelle. Henriette vit son premier amour, qui est aussi le dernier, puisqu’elle épousera au retour le stupide Anatole. 

Dans les retrouvailles, un an plus tard, transparaît la conception renoirienne du jeu d’acteur, qui fait de lui un cinéaste moderne — et génial : Henri et Henriette ne partagent plus le cadre, ils dialoguent en champ-contrechamp, montage qui en dit long sur le cloisonnement des classes et des sexes. « J’y ai mon meilleur souvenir », dit Henri du « cabinet particulier » où ils se sont aimés. « Moi, répond-elle, j’y pense tous les soirs ». Le jeu de Sylvia Bataille et de Georges Darnoux, dénué de sentimentalisme, rend leur mélancolie plus déchirante. Trente ans plus tard, Renoir théorise cette conception du jeu dans La Direction d’acteurs par Jean Renoir, exercice filmé avec (et par) l’actrice Gisèle Braunberger. Sans complaisance ni relâche, il lui fait travailler un dialogue mère-fille issu d’un texte de Rumer Godden, l’autrice de son film de 1950 Le Fleuve. Les instructions du cinéaste incitent la comédienne à la recherche et à l’essai, plutôt que de lui imposer une « direction » : il faut d’abord se vider de tout affect préconçu, et laisser naître le caractère propre du personnage par la diction du texte sur un ton neutre. 

Un traité sur le point de vue au cinéma
Si le film, malgré l’époque de son tournage et celle de son action, demeure un jalon du cinéma moderne, c’est que Jean Renoir y réfléchit sur la mise en scène et son ancrage dans le désir de regarder.

Tout commence vraiment, dans le film, lorsque les deux dragueurs du dimanche, Rodolphe et Henri, attablés à l’auberge, ouvrent la fenêtre et observent Henriette et sa mère sur la balançoire comme au spectacle. Renoir redouble le cadre cinématographique par ce petit théâtre improvisé, et le patron de l’auberge qu’il interprète pointe à ses acteurs qui regarder et comment. Si les Dufour sont venus, entre autres, profiter de la vue bucolique et dépaysante, Henriette et sa mère deviennent les actrices d’un dispositif de regard complexe, dont elles sont à la fois les proies et les actrices. Plus tard, dans le coin de l’île qu’Henri appelle son « cabinet particulier », une branche en forme de « U » vient clôturer l’espace, comme pour encadrer le lieu et figer l’instant : là encore, c’est une scène de regard, destinée à faire image.

L’impressionnisme sur une balançoire
Adapter Maupassant (et cette nouvelle dont l’action se situe en 1860) est l’occasion pour Renoir de faire revivre la période impressionniste, et donc, l’univers visuel de son père, le peintre Pierre-Auguste Renoir, sur qui il écrira plus tard un ouvrage passionné et tendre. Aussi reconnaît-on dans le film certains motifs impressionnistes vus dans les tableaux de Renoir père, Le Déjeuner des canotiers (1880-1881) ou La Balançoire (1876). Pourtant, le fils a la conviction que le cinéma est avant tout mouvement et temps, et sa mise en scène n’est jamais platement « picturale ».

Mélodrame ou teen movie ?
Renoir ne choisit jamais entre la satire et le mélodrame, genre très présent dans le cinéma des années 1930. Il signe peut-être aussi, sans le savoir, ce que l’on appellera plus tard un teen movie. Henriette, au contact de la nature, se sent « toute drôle » comme elle le dit à sa mère, et vit son premier amour. Amour ? Extase ? Certaines féministes contemporaines voient plutôt dans son étreinte avec Henri une absence de consentement. Si l’on aperçoit distinctement Henriette cesser de se débattre quand il l’enlace et relever la tête pour l’embrasser, le plan délibérément flou sur le regard de la jeune femme, tourné vers la caméra demeure insondable. Il est empreint de la conscience de la perte à venir, mais il ouvre aussi le tête-à-tête à une étrange triangulation : le cinéaste vient s’interposer entre les amants.

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Jean Renoir

Jean Renoir est un réalisateur français, également scénariste, né à Paris dans les environs de Montmartre, le 15 septembre 1894, mort à Beverly Hills (Californie, États-Unis) le 12 février 1979.

Ses films ont profondément marqué les mutations du cinéma français entre 1930 et 1950, avant d’ouvrir la porte à la Nouvelle Vague du cinéma français. Jean Renoir est le deuxième fils du peintre Auguste Renoir.

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EXTRAITS DE PRESSE
À partir du 10 juillet.