Deux Petit Chaperon Rouge en short, une Mère-Grand en jogging, une Mère armée d'une carabine… Et un loup…
— Dans un ingénieux dispositif théâtral, plastique et sonore, investissant des parcs à la tombée de la nuit, J'ai peur quand la nuit sombre est une invitation à se perdre dans les méandres symboliques du Petit Chaperon Rouge. En confrontant le conte à quelques-unes des trente versions moins policées que celles de Perrault et Grimm, versions taraudées par l'érotisme et l'angoisse de la dévoration, Edith Amsellem exhume toute la force de ce folklore original et, à défaut de morale, confie un sésame : « Ne te soumets pas à la loi indiscutable, universelle, de la sauvagerie masculine ! ».
— Edith Amsellem aime à tisser les rapports entre un spectacle et son lieu. Sa proposition autour du Chaperon Rouge est une version in situ, c'est-à-dire buissonnière et exploratoire : le public déambule entre les maisons de la grand-mère et de la mère, entre le chemin des aiguilles et celui des épingles, entre ces femmes d'âges différents, aux expériences complémentaires, et suit le fil rouge d'un chaperon en quête de ses origines et d'elle-même.
Chaque soir, le parcours se découpe en deux représentations quasi-identiques de J'ai peur quand la nuit sombre. La première débutera à 20h, la seconde à 21h15. Les spectateurs sont invités à suivre les deux, mais peuvent ne vivre que l'une ou l'autre dans la même soirée. Évidemment, nous vous incitons à venir dès 20h, pour voir la représentation de 21h15 sous un autre angle !
« [Cette] œuvre théâtrale exceptionnelle impressionne et étonne. Impressionne, par la maîtrise du matériau, une retraversée du conte traditionnel du Petit Chaperon Rouge dans ce qu'il a de plus cru, par la précision de la mise en scène, par l'incarnation viscérale offerte par les comédien(ne)s. Étonne, par sa scénographie inventive, plastiquement superbe, que sont les parcs et jardins. Puissant, bouleversant jusqu'à l'intime, subtil néanmoins. » Toutelaculture.com
D'après des versions du Chaperon Rouge issues de la tradition orale. Avec Yoann Boyer, Laurène Fardeau, Laurence Janner, Lou Montézin remplacée par Sophia Chebchoub, Anne Naudon. Création sonore et musique Francis Ruggirello. Scénographie Edith Amsellem, Laurent Marro, Charlotte Mercier, Francis Ruggirello. Chorégraphie Yoann Boyer. Coiffures et maquillages Geoffrey Coppini. Création costumes Aude Amédéo. Travail autour du tricot Charlotte Mercier. Régie générale Laurent Marro. Régie son William Burdet.
Production ERD'O. Coproduction Le Merlan scène nationale de Marseille, La Criée, Théâtre national de Marseille, Le Pôle Arts de la Scène – Friche la Belle de Mai (Marseille), Le Théâtre de Châtillon, La Passerelle scène nationale de Gap, Le Citron Jaune – Centre National des A rts de la Rue, Lieux Publics Centre National de Création en espace public. Accueil en résidence Département des Bouches-du-Rhône – Centre départemental de créations en résidence, La Gare Franche, Begat Theater. Soutien DGAC – ministère de la Culture, DRAC PACA, Ville de Marseille, Région PACA , ADAMI, Département des Bouches-du-Rhône.
© photo : Edith Amsellem, Antoine Icard, JM Coubart
Tout le monde connaît Le Petit Chaperon rouge, célèbre conte d'avertissement sur les dangers de la désobéissance : « Petite fille, ne t'écarte pas du droit chemin, sinon tu rencontreras le loup et il te mangera ! »
Cette morale s'appuie sur deux versions littéraires qui ont fait la célébrité du conte, celle de Perrault qui finit mal : « Et en disant ces mots le loup se jeta sur le Petit Chaperon rouge et le mangea », et celle des frères Grimm qui finit bien : avec l'arrivée du chasseur-sauveur sortant ses ciseaux et libérant le Petit Chaperon rouge et sa grand-mère du ventre du loup.
Pourtant, j'ai découvert dans certaines versions moins connues de la tradition orale, des Petits Chaperons rouges plus audacieux. Au même titre que les mythes, ils sont affaire de grandes personnes et abordent toutes les hantises du sexe et de la mort. Inceste, viol, pédophilie, gérontophilie, cannibalisme, scatologie et fétichisme y sont réunis en un cocktail explosif. Comment un conte aussi transgressif a-t-il pu nous parvenir expurgé, réduit à une simple histoire visant à éduquer les enfants conformément aux règles du code social d'une époque ?
Qu'en est-il de l'histoire de trois générations de femmes (la grand-mère - la mère - la jeune fille) se transmettant l'essence même de la vie, du parcours initiatique de cette jeune fille pubère et du happy-end dans lequel l'héroïne s'en sort seule ?
J'aime profondément cette figure féminine qui ne se soumet pas à la loi indiscutable, universelle, de la sauvagerie masculine. Elle défie la peur, l'homme, l'extérieur, assume de prendre le risque de rencontrer le loup et apprend à détaler pour vivre libre. Résonnent en moi les mots de Camille Paglia sur le viol : « C'est un risque inévitable, c'est un risque que les femmes doivent prendre en compte et accepter de courir si elles veulent sortir de chez elles et circuler librement. Et si ça te fait trop peur, il faut rester chez maman et t'occuper de faire ta manucure. » Chez ces Petits Chaperons là, il y a une force qui m'impressionne et me rassure, ni masculine ni féminine : la faculté de dire «non» et de décider de son destin.
En montant ce spectacle, je souhaite revenir à l'essence même du conte pour convoquer toute sa force symbolique, celle d'un voyage initiatique à l'intérieur du féminin et de tout ce qui se transmet de mère en fille. Dans un jeu de pistes de la maison de la mère à la maison de la grand-mère, notre Petit Chaperon rouge va partir en quête de ses origines et d'elle-même. Et comme lorsqu'on découvre une à une les boîtes décroissantes d'une série de poupées russes, elle parviendra à la dernière, la toute petite, celle qui n'est pas encore prête à s'ouvrir...
Edith Amsellem
Le danger que Le Petit Chaperon rouge va affronter seule sur un chemin dans la forêt est le même que celui redouté par toutes les femmes, la nuit, dans des rues désertes. A priori l'espace public est mixte, mais il demeure un lieu où les déséquilibres entre les deux sexes restent profonds. De jour, ça ne se voit pas. Mais de nuit, les femmes vont d'un point à un autre par nécessité et ne stationnent jamais. Toutes les mères transmettent à leurs filles leurs stratégies de protection, non celles de défense : « porte un pantalon plutôt qu'une jupe, maquille-toi sobrement, fuis les regards, baisse la tête, marche vite, évite les rues désertes et en cas de danger: COURS, COURS, MA FILLE... »
Éduquées à subir, les femmes redoutent qu'on abuse de la faiblesse de leur sexe. « Les petites filles sont dressées pour ne jamais faire de mal aux hommes, et les femmes rappelées à l'ordre chaque fois qu'elles dérogent à la règle », nous dit Virginie Despentes dans King Kong Théorie. Elle nous dit aussi : « Je suis furieuse contre une société qui m'a éduquée sans jamais m'apprendre à blesser un homme s'il m'écarte les cuisses de force, alors que cette même société m'a inculqué l'idée que c'était un crime dont je ne devais jamais me remettre. »
En choisissant les parcs et les jardins publics, je souhaite convoquer toutes les représentations et les fantasmes de peur qui y sont associés. Ces espaces fermés à clé la nuit par les municipalités, vont devenir le plateau idéal de notre Petit Chaperon rouge d'aujourd'hui.
La chaîne des contes s'inscrit dans la durée : la durée de chaque histoire qui varie en fonction de l'inspiration du conteur, et la durée impalpable de la transmission de génération en génération à travers les siècles. Dans cet éternel recommencement, la fable vit sa vie et se transforme à l'infini. Pour faire ressentir aux spectateurs l'idée même de cette répétition, la structure du spectacle sera constituée de quatre séquences d'une vingtaine de minutes, jouées en boucle et chorégraphiées sur une bande-son narrative. Le public sera invité à suivre plusieurs séquences sur la durée du spectacle.
1 séquence = le conte raconté 1 fois = 20 minutes
le spectacle = 4 séquences en boucle = 20 minutes x 4
Un peu comme au musée ou au zoo, le public aura la possibilité de se promener librement dans le vaste espace de jeu. Les deux maisons, celle de la mère et celle de la grand-mère, devront être suffisamment éloignées pour que le principe fonctionne. Dans cette exposition vivante, chaque spectateur pourra prendre l'histoire par n'importe quel bout, et le temps du spectacle, avoir la sensation de posséder le don d'ubiquité.
Par exemple : pendant la première séquence, quelqu'un choisira de suivre Le Petit Chaperon rouge dans son périple à travers la forêt, pendant la seconde, de rester devant chez la mère pour voir ce qu'elle fabrique pendant que sa fille est partie accomplir sa mission, pendant la troisième de pister le loup et de le découvrir dans toute sa duplicité et pendant la quatrième d'observer la grand-mère dans sa solitude infinie, etc. et ainsi de suite, dans n'importe quel ordre et à son propre rythme.
Comme dans Pierre et Le Loup, où il n'est pas nécessaire d'écouter le conteur pour comprendre l'histoire, la musique évoquera les rythmes de chaque épisode de la fable et mettra l'accent sur les émotions traversées par le Petit Chaperon rouge. Les comédiens seront portés par cette musique diffusée dans tout l'espace de jeu et devront la suivre comme une partition.
Aux trois endroits stratégiques, chez la mère, chez la grand-mère et au point de rencontre du loup et du Petit Chaperon rouge, des micros seront placés et amplifiés autour de la zone. Ce sera l'endroit des mots et de l'intimité. Je vais écrire une partition intime à chaque personnage : pour les trois femmes, le texte sera lié aux âges d'or de la féminité (la puberté, la maternité, la ménopause), et pour le loup, le texte sera plus narratif, structurant l'histoire dans l'espace et le temps.
L'étude du lexique des différentes versions fait apparaître de singulières analogies entre les motifs du conte et les outils de la dentellière (le chemin des aiguilles et des épingles, le fil de laine au poignet du Petit Chaperon rouge, la chevillette et la bobinette, le chaperon en tant que vêtement, la dent de loup...).
Elle permet de saisir dans le tissu du conte une trame dissimulée, un réseau de sens enfoui.
Le tricot, qui s'inscrit dans la répétition des mailles comme la chaîne des contes, et la laine rouge comme repère pour suivre le fil de l'histoire dans l'aire de jeu, seront les éléments centraux de la scénographie.
Ils nous permettrons de figurer les deux maisons, celle de la mère et celle de la grand-mère, et de baliser les deux chemins, celui des épingles et celui des aiguilles. Les maisons, comme des plans en trois dimensions sans les murs, renforceront l'idée d'une exposition de l'intime. Le spectateur-voyeur pourra soit se poster devant les habitacles, soit déambuler de chez la mère à chez la grand-mère, en suivant les chemins de cailloux lacérés de laine rouge.
Depuis 2011, avec mon désir de théâtre dans des lieux « non dédiés », j'ai pris la direction artistique de la compagnie ERD'O.
Que ce soit avec Les Liaisons dangereuses sur terrain multisports créé en 2012 ou avec Yvonne, princesse de Bourgogne sur château-toboggan créé en 2015, je cherche à confronter les textes avec des espaces symboliques, révélateurs du sens intrinsèque d'une œuvre.
Je regarde la ville brute comme un trésor public, comme un grand magasin de scénographies, et envisage certaines parcelles tel un décor possible, un écrin idéal prêt à recevoir une fiction à interpréter.
Les bouts de réel que je choisis pour raconter des histoires révèlent des images mentales communes à tous, mais en suggèrent aussi d'autres, plus intimes, plus enfouies, plus secrètes : Avec Les Liaisons dangereuses sur terrain multisports, j'ai utilisé l'espace dans sa fonction ludique pour y inscrire une métaphore sportive, un match homme femme. A cela s'est superposée aussi l'idée noire de la compétition jusqu'à la mort du sujet, dominé, battu par les forces de l'autre et par sa propre fragilité. Pour Yvonne, princesse de Bourgogne sur château-toboggan, j'ai pris les structures de jeux, royaume exutoire de la petite enfance, pour convoquer la cruauté nue, l'égoïsme infantile, la perversité polymorphe.
La question de l'obscénité de la classe dominante, dans son cynisme décomplexé vis-à-vis des valeurs morales, celle de la femme dans la société contemporaine, drainant préjugés et clichés dévalorisants, sont les préoccupations centrales de mes spectacles.
Confronter le théâtre à la réalité des espaces bruts, à l'extérieur, à la vie qui se déroule en arrière-plan, augmente le risque lié à l'imprévu, l'aléatoire, et intensifie le rapport au présent et à l'ici et maintenant.
Sans effet, sans lumière, sans fioriture, je place l'acteur au centre de mes territoires d'expérimentation, cherchant obstinément cet endroit rare et précieux : where the magic happens, probablement entre le vrai et le faux, le jeu et le non-jeu, le connu et l'inconnu.
La création de J'ai peur quand la nuit sombre d'après des versions du Chaperon rouge issues de la tradition orale, en mai 2018, va s'inscrire dans une continuité du travail proposé dans mes deux premiers spectacles. Cette fois, je choisis pour plateau les parcs et les jardins publics, ces lieux mystérieux et effrayants la nuit, qui feront sans doute résonner certaines peurs des femmes, de la puberté à la ménopause.
Edith Amsellem a un but, celui de raconter la femme dans ces peurs, de la puberté à la ménopause et, c'est vertueux, en traversant la peur intériorisée depuis des siècles, atavique et légitime. Elle réussit à nous faire résonner ces terreurs la nuit dans ce lieu hors-les-murs et mystérieux. La pièce est riche de cela. Elle réussit autre chose, celle de déplier la question des relations mères-filles dans une lecture lacanienne. Une femme lorsqu'elle va bientôt devenir mère pour la première fois revisite mentalement la relation à sa mère. Cette proximité de pensée dans le temps, cette métonymie lacanienne va associer pour toujours la petite fille qui va naitre à sa grand-mère. La petite fille, le Chaperon Rouge sera utilisée désormais par sa mère comme l'outil de mise à distance en même temps que l'organe de médiation entre celle-ci et sa propre mère. Le fil rouge présent partout dans la pièce tricote la chose commune non encore verbalisée entre les personnages, il est le fantasme. Par la teneur de son texte et son dispositif inédit, la pièce d'Edith Amsellem est indiscutablement prégnante et réussie. DAVID ROFÉ-SARFATI – TOUTELACULTURE.COM
(…) les spectateurs étaient invités à emprunter une navette pour rallier un endroit tenu secret. À l'arrivée, ils découvraient dans un parc entre chien et loup l'époustouflante scénographie de ce Petit chaperon rouge en espace naturel. Pour tout plateau, un enclos à ciel ouvert, évoquant cabanes d'enfants comme jeux interdits dans les bois, baignant tous les sens d'une inquiétante étrangeté : parfum des pins environnants, branches craquant sous les pas des spectateurs, onomatopées brodées de rouge faisant résonner le paysage de façon mutique -« Miaou, Chuuut… »… En quatre vertigineuses boucles, J'ai peur quand la nuit sombre nous fait replonger dans un mythe fondateur de notre enfance, dénué ici de toute saveur acidulée. Si le chaperon repart toutes les 15 minutes d'un pas décidé affronter son prédateur, c'est pour mieux décliner une nouvelle confrontation avec la figure masculine du loup, campé ici par un charismatique danseur aux allures de chamane. JULIE BORDENAVE – ZIBELINE
Le loup est-il juste un prédateur ou une représentation plus masculine de notre existence ? Il questionne la place de la femme dans un monde patriarcal. En emmenant le public dans un parc à la tombée du jour, Edith Amsellem prend le pari de créer une atmosphère oppressante et de lâcher la foule dans les moindres recoins d'une nature où chaque arbre devient une ombre qui rode. Là où la nuit des gens dorment et se rencontrent, là où se cristallisent les peurs. Dans ce climat qui déshabille l'imaginaire, des silhouettes prennent forme et des voix s'élèvent. La jeune fille, la mère, la grand-mère, chacune à leur tour, nous emmènent dans l'intimité de leur vie de femme à différents âges. Cette immersion dans le réel de la ville nous sort de notre confort et nous colle au regard de ces femmes à la tombée de la nuit. Beaucoup de points de vue et de sentiments s'entrechoquent, c'est un peu l'idée d'un théâtre polymorphe où le fil de l'histoire se déconstruit à travers une multitude d'expériences. Une déambulation dans une attitude de voyeur, une connivence entre femmes, une interrogation sur une situation présente. Le synopsis est démultiplié, le début et la fin s'entremêlent, le parcours peut être remonté. Edith Amsellem affirme l'idée d'un théâtre où la liberté du choix prend le dessus sur toute autre considération. KARIM GRANDI-BAUPAIN - VENTILO