Quand quatre comédiens sud-africains mélangent leurs fragments de vie aux lambeaux d’une pièce qu’ils ne savent pas jouer...
Comédie autant que conte philosophique, Macbeth quand même est un huit-clos sensuel et troublant dans lequel trois hommes et une femme, tous d’origine sud-africaine, se retrouvent obligés de jouer Shakespeare. Dans ce chassé-croisé tragi-comique, les quatre protagonistes semblent avoir du mal à communiquer entre eux et à négocier leur quotidien. Leurs envies d’être un autre, leurs goûts délirants pour se donner en spectacle et leurs insatisfactions provoquent des situations absurdes à la limite du ridicule. Pour se comprendre, s’assouvir, se défendre et survivre, ils seront obligés d’inventer un langage commun physique et oral. Dans cet espace dépouillé avec pour seul décor une table et quelques matelas, Jean-Paul Delore traite avec ironie du désordre des relations entre ces corps étrangers. En toile de fond la question majeure posée dans le drame shakespearien : jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour satisfaire nos ambitions et nos désirs ?
Texte et mise en scène Jean-Paul Delore • Extraits de Macbeth de William Shakespeare • Assistante et traduction Isabelle Vellay • Avec Gerard Bester, Lindiwe Matshikiza, Jefferson Tshabalala, Nick Welch, Yoko Higashi • Lumière Franck Besson. Costumes et maquillage Catherine Laval. Vidéo Sean Hart. Création musique Yoko Higashi. Régie son, vidéo et générale Bastien Lagier.
Production LZD-Lézard Dramatique en coproduction avec Château Rouge scène conventionnée d’Annemasse, La Comédie de Saint-Etienne Centre Dramatique National, les Colporteurs avec le soutien du CFRG (Château rouge Annemasse, Arsenic Lausanne, Poche GVE Genève, Maison des Arts du Léman – Thonon Evian), Festival Théâtral du Val d’Oise avec le soutien du Conseil Départemental du Val d’Oise (FACM).
Avec le soutien de l’IFAS Johannesburg, de la convention Institut Français / Ville de Lyon, du Fiacre 2015 Auvergne-Rhône Alpes et de la SPEDIDAM. Réalisé avec le concours de la Régie Culturelle Régionale Provence-Alpes-Côte d’Azur. www.laregie-paca.com et le soutien de DOUCE Marseille. en co réalisation avec la Friche la Belle de Mai
LZD-Lézard Dramatique compagnie en convention avec le Ministère de la Culture et de la Communication – DRAC Auvergne-Rhône Alpes et la Région Auvergne-Rhône Alpes.
© photo : DR
Cinq étrangers, en fait quatre acteurs sud africains et une musicienne japonaise, se retrouvent obligés de jouer Shakespeare. Deux femmes. Trois Hommes. Un lieu clos. Des matelas au sol. Presque rien.
Ils parlent. De nombreuses langues. On les comprend, pourtant. Drôle de théâtre. Drôle de drame. Ils mélangent leurs fragments de vies aux lambeaux d’une pièce qu’ils ne savent pas jouer.
Macbeth ? Encore un général mal préparé et, quand même, prêt à tout. Comme les deux femmes et les trois hommes dans le lieu clos. Comme nous. Comme tous les étrangers. Gros risque. Gros désir. Grosse ambition.
Ils viennent du Grand Sud. Là où les forêts ont depuis longtemps fini d’avancer. On dit que parfois ils échappent aux matelas, au sol, au théâtre en lambeaux, et même au fait d’être femme et homme. Alors, ils se transforment en choses.
Possible. Question de survie.
Dans ce chassé-croisé tragi-comique, les cinq protagonistes viennent de loin, semblent avoir du mal à communiquer (quiproquos, malentendus) entre eux et à négocier leur quotidien. Leurs envies d’être un autre, leurs goûts délirants pour se donner en spectacle, leurs insatisfactions provoquent des situations de mises en abyme de la représentation. C’est ici une façon contemporaine de poursuivre le questionnement de Carmelo Bene, le tragédien génial burlesque : si l’acteur fait le personnage, qui fait l’acteur ?
Cette nouvelle création s’inscrit dans la continuité des précédentes. Mes voyages vers le grand Sud, le multilinguisme, la musique, mon choix d’écrire pour des acteurs hors norme sont autant d’éléments traçant les lignes de cette poésie sonore savante et bricolée en suspens, qu’annoncent déjà des titres en forme de locutions adverbiales faussement simples.
Ainsi après Peut être (2008) puis Sans Doute (2013), Quand même vient compléter une trilogie de l’incertitude de l’instabilité du désordre et de l’irrésolution. J’aime les mots caméléons ou mots mensonges qui changent de sens avec le contexte et la façon dont on les accentue. Des mots qui, pour exister, ont besoin de la voix, du corps…
Ces mots qui avancent masqués, polis par l’usage quotidien et qui pourtant, isolés, nous laissent démunis… Des mots de travailleurs pleins de sous entendus. Et puis dans quand même il y a l’idée du malgré tout, sentiment complexe, mélange d’insolence et de résignation : ne pas se soumettre au bon sens, à la peur, à la fatigue et, même si c’est vain dangereux et sale, mettre en doute, se battre et aimer…. quand même.
Un huis clos sensuel, troublant. Trois hommes et deux femmes. Ils disent le desir, le bonheur et cette sensation de corps étrangers ; celui de l’autre et le sien propre. Etrangers, ils le sont profondément et pour se comprendre, s’assouvir, se défendre et survivre, ils sont obligés d’inventer un langage commun physique autant qu’oral. Mais cette nécessité devient addiction car la vie est incomplète et seul l’imaginaire, ce couloir sans bord ni bout, peut les aider à accepter le monde. Alors, perdant peu à peu de leur humanité dans cette fuite en avant, ils se transforment au cours de cette pièce en forme de match ; car c’en est un avec ses rounds et ses courtes pauses où s’épongent les blessures, s’aiguisent les stratégies et se motivent goût et dégoût du contact final.
Ils sont là tous les quatre, comme premier argument d’écriture. Lindiwe, Jefferson, Gérard et Nick vivent à Johannesburg, ville de mineurs, de pionniers, d’émigrants, de chercheurs d’or, port sans mer, absence de fleuve. Ce genre d’endroit où, même à l’arrêt, les nomades marchent encore. Et c’est peut-être cette mobilité-là, mentale et ouvrière, qui fait un acteur. Etre comédien de là-bas, aujourd’hui, c’est avoir subis des influences multiples.
Dans Macbeth quand même la parole elle même est musique. Les quatre acteurs, également rappeurs inventent une langue bouleversée dont l’accentuation et l’intonation se combinent aux sons instrumentaux joués en direct par une musicienne, chanteuse : Yôko Higashi, artiste japonaise inclassable dont l’électro-pop sensuelle et barbare flirte avec la musique concrète. Sur scène son engagement physique tantôt minimaliste tantôt stroboscopique laisse entendre ses autres influences héritées d’un parcours personnel hors du commun : bûto, théâtre Nô, Danse contemporaine, musique classique occidentale et traditionnelle du Japon.
Enfin, mots et sons indissociés, il s’agit ici d’écrire en presque français dans une langue délicatement créolisée permettant une prosodie libre pour ces quatre acteurs polyglottes pas vraiment anglophones puisque qu’il y a onze langues officielles en Afrique du Sud sans compter la quarantaine d’autres. Voici donc des individus passant et pensant la phrase d’une langue à l’autre... mobilité encore... Mais il y a peut-être autre chose ; pour un acteur, jouer dans une langue non maternelle c’est mettre à nu sur scène ce par quoi, enfants, le langage nous arrive à tous : l’instinct, la nécessité, le désir ; or c’est ce qui anime les personnages de Macbeth quand même... Ils touchent à l’endroit où naissent les choses.
Sur le plateau nu, landes précaires et éphémères, restent seuls les corps des acteurs au travail dans leurs rapports frontaux.
Sean Hart, artiste pluridisciplinaire, associé aux créations précédentes, contamine des lieux publics avec ses phrases qu’il peint sur nos trajets habituels. Ici il projette des fragments de textes et de corps sur des écrans de fortune ou sur les acteurs eux-mêmes. Jeu avec la phrase-image, pour sur-titrer les inquiétudes et sarcasmes des cinq de Macbeth quand même. On l’aura compris le corps sous nos yeux de ces comédiens en allers retours acteurs/personnages est ici un espace publique vivant.
Catherine Laval, costumière plasticienne, coupe le métal, le papier et le végétal comme de l ‘étoffe. Puis elle moule les corps des acteurs, déshabillés de leurs apparences communes, cherchant la continuité entre la chair et la matière. Ainsi naissent de silhouettes personnages comme évadées de leurs propres inconscients. Ces métamorphoses vivantes jouent avec les codes de l ‘art brut et du baroque, et mettent à nu nos traces d ‘enfances perdues et nos tourments d’adultes.