Sur scène, il y a des lignes dessinées sur le sol qui délimitent des territoires, des dedans et un dehors. Il y a aussi un garçon et une fille qui s’éveillent chacun dans son petit rectangle blanc. La fille tourne sur elle-même comme une ballerine dans une boîte à musique et le garçon s’activeUn spectacle d’une franche gaieté. comme un coureur de cent mètres. Ils évoluent en parallèle, se lèvent, se couchent, s’habillent, explorent le monde qui les entoure. Et puis un jour, ils s’aperçoivent. La rencontre se produit et perturbe leurs habitudes. Le duo échange les rôles, chacun se cherche et s’apprivoise, ils perdent alors leurs différences pour être à égalité par le jeu et dans l’action. Tous les garçons et les filles… est un spectacle sans parole, qui oscille allègrement entre danse et théâtre, le cinéma muet aussi. Nous retrouvons avec plaisir le très bel univers plastique de Jean-Philippe Naas tout en couleurs, en graphisme et en poésie.
Il y a quelques années, lors d’une résidence au sein d’un collège, j’ai été choqué par les paroles sexistes d’un groupe de garçons à propos d’une fille. Il y avait derrière leurs mots des images qui ne correspondaient pas à des enfants de cet âge et surtout, beaucoup de violence. Cette violence que l’on peut retrouver quand l’autre, le différent de soi, l’inconnu, nous fait peur.
De façon empirique, j’ai ouvert au sein de la compagnie un chantier sur les rapports entre les garçons et les filles et plus largement sur la construction de l’identité sexuée et sexuelle. Comme nous passons beaucoup de temps dans les écoles, je me suis mis à observer les comportements des enfants et des adultes sous cet angle-là. J’ai souvent eu l’impression qu’il existait une sorte de ligne de partage entre garçons et filles. Une ligne parfois difficile à franchir, lorsque je demandais aux enfants de se donner la main par exemple.
Parallèlement, j’ai observé les images de l’homme et de la femme produites par notre société, les images dans lesquelles évoluent aussi les enfants. Malgré de réels progrès, les représentations et les rôles de chaque sexe proposés aux enfants restent souvent stéréotypés et les clichés ont la vie dure. Il suffit de regarder les catalogues de jouets, les clips vidéo...
Les premiers jours de répétitions m’ont un peu éloigné de mon point de départ. Je ne voulais pas stigmatiser davantage cette opposition et la violence inhérente, mais être dans la douceur, un rapport à l’autre apaisé, curieux. Je voulais faire ressentir aux enfants qu’entre les garçons et les filles, il existe un espace commun qu’on peut appeler «neutre» et que cet espace est beaucoup plus important qu’avant.
Le spectacle est aujourd’hui davantage l’histoire d’une rencontre. Certains y voient les débuts d’une histoire d’amour, d’autres restent dans le jeu d’enfants... Nous avons essayé de laisser l’histoire très ouverte, qu’elle contienne en elle tous les possibles.
En étant moins frontal, subtilement, je peux laisser quelques points d’interrogations, soulever des questions chez le jeune spectateur sur l’identité et les rapports entre les garçons et les filles. JEAN-PHILIPPE NAAS
L’ABSENCE DE PAROLES
Tous les garçons et les filles... s’inscrit dans une ligne de recherche initiée avec Acorps et prolongée par Même pas mort !, des spectacles sans texte. Dans mon travail, j’essaie de rendre visible le langage du corps, la force de l’expressivité des visages, des regards, tout ce qu’on peut dire sans les mots. Je trouve l’origine de ce désir dans une expérience maintes fois vécue au cours de stages de danse contemporaine, ces moments d’improvisation où l’on approche l’autre au plus profond sans se parler, juste les corps. J’ai aussi le sentiment que le silence laisse davantage de place à l’imaginaire du spectateur. Et pour ce spectacle, je voulais clairement me situer en dehors de la langue. Car notre langue est extrêmement sexuée, elle ne connaît pas le neutre et en grammaire faut-il rappeler que pour les accords, le masculin l’emporte.
LA CONSTRUCTION DE L’INDIVIDU ET LA RELATION À L’AUTRE
Dans Acorps, la relation (réelle ou imaginaire) entre les deux jeunes filles sur le plateau était de nature amicale. Dans Même pas mort !, ce qui reliait les quatre jeunes femmes sur scène était leur filiation, puisqu’il s’agissait de quatre soeurs confrontées à la mort de leur frère. Avec Tous les garçons et les filles..., j’ai essayé d’ouvrir encore plus le sens. Un garçon et une fille, ou un homme et une femme, pas de précision d’âge, car il s’agit de figures plus que de personnages. Nous avons exploré toutes les relations possibles, car ce qui m’anime depuis les débuts de la compagnie c’est la construction de l’individu et la place de l’autre dans cette construction.
LES MUSIQUES
Dès le début des répétitions, j’ai apporté le disque de Gonzales, piano solo. Sa musique a très vite coloré nos premières recherches d’une référence au cinéma muet. Cela collait bien avec mon envie de donner une place prépondérente au corps. Nous nous sommes ainsi retrouvés en compagnie de Charlie Chaplin, d’Harold Llyod, de Buster Keaton et de Jacques Tati. Quelques musiques de Gonzalès sont restées et j’ai demandé à Jérôme Laferrière, compositeur, de soutenir le jeu des interprètes par quelques ambiances sonores. Pour ne pas saturer l’oreille du spectateur, nous avons laissé beaucoup de silences. Nous avons essayé toute une série de musiques avant de trouver cette sonate de Scarlatti. J’aimais bien son rythme endiablé, l’idée de passer du piano au clavecin, un retour en arrière dans le temps pour aller de l’avant !
QUELQUES LIGNES AU SOL
La scénographie intervient très tôt dans la construction de mes spectacles. Sous le préau d’une école où nous étions en résidence, j’ai tracé au sol avec du scotch un rectangle, puis un deuxième. Avec les interprètes, nous avons cherché à habiter ces espaces de jeu en empruntant plusieurs chemins chorégraphiques. Assez vite, ces rectangles sont devenus des maisons. Et puis un jour, il a bien fallu sortir des maisons ! Quelqu’un a soulevé le scotch et une porte est apparue. Nous nous sommes beaucoup questionnés pour savoir s’il fallait rester dans cette élémentarité, quelque chose de très enfantin. On dessine un rectangle au sol et on décide que c’est une maison. Nous avons imaginé une maison en volume, puis juste la porte... Et finalement nous avons gardé notre première idée. Cela m’a rappelé un dessin animé italien que j’adorais enfant, La Linéa. Ce rectangle, c’est un espace intime, mais c’est aussi un espace qui contraint qui enferme. Un cadre que les deux interprètes font exploser vers la fin du spectacle en traversant carrément les murs pour aller vers une course-poursuite libératoire.
LES VÊTEMENTS
Depuis quelques spectacles, avec Juliette Barbier, plasticienne, nous explorons le potentiel créatif des vêtements. Dès les premiers jours de répétitions, elle a proposé des vêtements blancs pour la fille, noirs pour le garçon, et des unis colorés. Assez naturellement, nos maisons se sont équipées de placards. J’aime bien cette idée – peut-être un peu simpliste – d’une vie solitaire en noir et blanc et de l’arrivée de la couleur au contact de l’autre. Cela me permet de prolonger les échos au cinéma muet et aussi de stigmatiser le rôle de la couleur dans l’opposition garçon-fille. Nous avons joué à nous habiller, à nous déshabiller. En écho à la scénographie, Aurore Thibout, costumière a enrichi nos propositions de vêtements rigides et de lignes sur les vêtements. Vêtements que le garçon et la fille jouent à échanger et surtout en envoyer en l’air avec une joie libératrice, explosant ainsi les carcans et les codes culturels.
LES IMAGES
L’introduction de la vidéo dans mon travail s’est fait par nécessité dans le traitement scénique du texte de Denis Lachaud Moi et ma bouche. Comme je me méfie énormément de l’utilisation de l’image dans les spectacles, il fallait qu’elle s’impose dans celui-ci. Laurent Pernot, vidéaste, nous a rejoint lorsque nous avions défini les séquences qui allaient rythmer Tous les garçons et les filles... Il a proposé toute une série de formes sur lesquelles seraient projetées des images. Avec ce décor en aplat et rejeté en fond de scène, nous ne sommes pas dans un traitement réaliste. On joue avec les dimensions, tout est bidimensionnel (les maisons, les écrans) seuls les comédiens sont en relief ! De nouveau, on peut évoquer le cinéma. Au début, c’est comme une page, blanche avec toutes les histoires possibles, une page qui se remplie de couleurs.
LE MOUVEMENT
Tous les garçons et les filles... n’est pas un spectacle de danse. Simplement, je cherche à exprimer par le corps autre chose qu’avec les mots. Avec Vincent et Emmanuelle, nous avons travaillé sur la façon de se déplacer des personnages. La démarche du garçon est un peu comme celle d’un robot. La fille est plutôt aérienne, comme si elle marchait sur la pointe des pieds, une ballerine. Au début du spectacle, je joue avec les stéréotypes (la fille en danseuse, le garçon en sportif), je voulais que quelque chose «cloche» dans leur démarche, comme pour dire: «Attention ! Nous ne sommes pas dans la vraie vie.» Cette rigidité, ce côté exagéré, renvoient aussi au cinéma muet (les démarches de Charlie Chaplin, d’Harold Llyod, de Tati sont assez singulières). Les enfants sont très sensibles au fait que les deux personnages fassent la même chose à un moment donné du spectacle. En tant qu’adulte, on peut penser que cet unisson est tout simplement une figure classique en danse sans autre signification. Du coup, j’en ai joué pour que les enfants se posent des questions sur la différence. Est-ce qu’il y a tant de différences entre un garçon et une fille puisqu’ils sont capables de faire la même chose ? JEAN-PHILIPPE NAAS
TÉLÉRAMA
Tout dans cette mise en scène réjouit : le choix des musiques, les bruitages, l’intelligence du propos, la mise en espace… Une pièce d’une franche gaieté avec un bouquet final loufoque et très drôle.
LA VOIX DU NORD
Tous les garçons et les filles est une pièce minimaliste, mais pas réductrice. Ne pas parler ne signifie pas ne rien dire, Jean-Philippe Naas en fait un hommage aux maîtres du cinéma muet. Le ruban adhésif qui délimite les maisons montre comment les frontières peuvent être aisément franchies. Cela crée encore mieux une ligne de partage entre garçons et filles. Une raison et un moyen d'aller l'un vers l'autre. D'agir l'un pour l'autre. Et de briser la barrière de l'un et de l'autre.
LYDIE CHAMPRENAULT – LE BIEN PUBLIC
Depuis leur plus jeune âge, les enfants sont soumis à un tas de codes qui entretiennent les différences. Les filles jouent à la poupée, les garçons aux voitures, les filles cherchent à être jolies, les garçons à courir vite. Cette image est directement présente au début du spectacle Tous les garçons et les filles...de la compagnie en attendant... Ils s’éveillent chacun dans son petit rectangle blanc dessiné au sol. La fille tourne sur elle-même comme une ballerine dans une boîte à musique et le garçon s’active comme un coureur de 100 mètres. L’opposition est affichée, on attend la rencontre entre les deux personnages. Ils évoluent en parallèle, s’habillent, explorent le monde qui les entoure. La mise en scène emprunte beaucoup aux codes du cinéma muet, dans le jeu rythmé et très démonstratif des danseurs. La rencontre arrive et le monde se pare de couleurs, des déclinaisons de rouge pour la fille et de vert pour le garçon. Le duo échange les rôles, chacun se cherche et s’apprivoise par le jeu. Ils perdent alors leurs différences pour être à égalité dans l’action, et surtout dans l’agitation quand ils font voler dans tous les sens les vêtements qui délimitaient leur espace. Le symbole est étudié, l’habit qui nous différencie dès le berceau vole en éclats dans une danse libératrice et joyeuse. La démonstration est parfaite, nos différences s’annulent dans la ronde et le jeu... une fois la danse terminée que deviennent-elles ?
Fondée en 2001 par Jean-Philippe Naas, la compagnie dijonnaise ambitionne de créer un théâtre qui sollicite l’imaginaire du spectateur. Le moyen choisi est de limiter l’information, d’adopter à tous les niveaux, une attitude minimaliste. Quelques gestes essentiels, quelques notes et respirations choisies, le plateau est presque nu. Le corps, la construction de soi et la place de l’autre, dans cette construction, constituent la colonne vertébrale du travail de la compagnie. Création, diffusion et sensibilisation sont les trois pôles indissociables de son activité. Depuis quelques années, elle a engagé une réflexion sur les adolescents et leurs rapports aux images. En novembre 2011, elle créera Les grands plateaux, une commande d’écriture passée à Denis Lachaud.
La confiance fait au hasard - extraits de Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes -créé en juillet 2010 à Dijon au musée des Beaux-arts, festival Dièse
Tous les garçons et les filles... – créé en décembre 2009 à la rose des vents, scène nationale de Villeneuve d’Ascq
J’ai aimé – scène 5 de l’acte II de On ne badine pas avec l’amour d’Alfred de Musset - créé en septembre 2009 à la rose des vents, scène nationale de Villeneuve d’Ascq
Moi et ma bouche de Denis Lachaud - créé en octobre 2008, à l’Arche de Bethoncourt (25).
L’apprentissage de Jean-Luc Lagarce - créé en novembre 2007, à Héricourt (70).
Même pas mort ! - créé en janvier 2007, à l’Arche de Bethoncourt (25)
Des jours plus vastes et plus intenses - créé en janvier 2007, à Nanterre (92), saison jeune public.
Juste une petite histoire - créé en juin 2007, à Dijon (21) au musée des Beaux-arts / nuit des musées.
J’attendais - créé en juin 2006, à Dijon (21) au musée des Beaux-arts / nuit des musées.
Là où souffle le vent... de Kitty Crowther - créé en novembre 2005, à la MJC de Chilly-Mazarin (91).
Derniers remords avant l’oubli de Jean-Luc Lagarce - créé en juin 2005, à Dijon (21) dans le cadre de l’Estivade.
Acorps - créé en novembre 2004, à Saint-Claude (39) avec le réseau Côté Cour.
L’ombre d’Emma - créé en janvier 2004, à Sevran (93) dans le cadre du festival les rêveurs éveillés.
En attendant - créé en juillet 2003, à Dijon (21) dans le cadre de l’Estivade.
Comment Wang-Fô fut sauvé de Marguerite Yourcenar - créé en décembre 2002, à Moirans-en-Montagne (39) avec le réseau Côté Cour.
J’avais cette idée naïve de toi que tu étais le genre de garçon à se promener dans les jardins la nuit... d’après “Le dire troublé des choses” de Patrick Lerch - créé en août 2002, à Dijon (21) dans le cadre du festival entre cour et jardin.
ANI-maux - d’après “Quand les pensées gelaient dans l’air” d’Alberto Moravia - créé en décembre 2001, à Lons-le- Saunier (39) avec le réseau Côté Cour.