Une performance d’acteur violente et sublime.
Matthieu, un adolescent comme les autres, passe de plus en plus de temps devant sa console pour fuir un environnement parental sordide. Depuis qu'il s'est plongé dans le jeu Les aventures du Batman, il entend une voix qui s'adresse à lui de façon répétée et envahissante. Elle lui raconte des souvenirs d'enfance, lui parle de sa famille et fait resurgir des événements qu'il croyait oubliés, des émotions qui lui échappent. Peu à peu, Matthieu recompose une histoire, son histoire, à travers une parole intime et brutale qui ne fait plus la part entre le réel et le monde virtuel dans lequel évolue son double, le Batman.
La lecture d'un fait divers – un adolescent à Béziers a utilisé un rasoir contre ses camarades de classe dans le but de ressentir une émotion – a déclenché chez David Léon l'écriture de ce texte, élégamment mis en scène par Hélène Soulié. Un Batman dans ta tête est un soliloque sensible qui explore la construction de la personnalité au moment de l'adolescence.
« La mise en scène d’Hélène Soulié est un excellent contre-point au texte coup de poing de David Léon. On sort bouleversé de ce spectacle. » FRANCE INTER
Avec le soutien de l’Onda - Office national de diffusion artistique
De David Léon, éditions espaces 34 • Conception et mise en scène Hélène Soulié. Avec Clément Bertani. Scénographie Emmanuelle Debeusscher et Hélène Soulié • lumières Maurice Fouilhé. Son Serge Monségu. Costumes Marie Delplin.
Administration production et diffusion les 2 bureaux : Hélène Icart, Jessica Régnier. Production EXIT. Coproductions HTH-CDN Montpellier, la Baignoire (Montpellier). Soutien de la DRAC Occitanie (au titre des compagnies conventionnées), de la région Occitanie – Pyrénées – méditerranée (au titre des compagnies conventionnées), la ville de Montpellier et Montpellier-agglomération. Ce spectacle bénéficie du soutien de la charte interrégionale signée par Arcadi-île de France, l’odia Normandie, l’OARA, réseau en scène Languedoc-Roussillon, spectacle vivant en Bretagne et l’Onda.
© photo : EXIT
La lecture d'un fait divers : un adolescent à Béziers utilisant un rasoir contre ses camarades de classe, a déclenché l'écriture de ce texte par David Léon.
Il y avait aussi chez lui la nécessité d'écrire sur la maltraitance psychologique et sur la « folie ».
La lecture de Sauver la peau aura enclenché chez moi deux nuits successives d'insomnie et de cauchemars (la relation de ce texte à Un batman dans ta tête est très forte).
Et puis un matin, très clairement le souvenir d'une photo de Nan Goldin persiste, celle d'un adolescent dans son bain.
Je me souviens du bleu prégnant de la photo. Des longs doigts du jeune homme, de ces mains dignes d'une peinture d'Egon Schiele.
Je cherche la photo. Je la redécouvre. Et je pense à d'autres photos de Nan Goldin, celles d'adolescents au bord d'une piscine.
Je commence alors à dessiner un jeune homme dans une baignoire, et puis un miroir au-dessus de lui, comme pour fragmenter son corps, en donner une vision autre, une vision atypique. Donner des prismes multiples au regard que l'on pourrait porter sur ce jeune homme. J'y trouve un écho plastique à la fragmentation du texte, reliée à la pensée foisonnante de Matthieu qui nous parvient par bribes, par spasmes. J'y vois à la fois son corps morcelé, sa folie, et notre incapacité à la considérer dans son ensemble.
Très vite l'espace est celui-là. J'en ai la certitude. Comme une évidence.
Je visualise alors la première image du spectacle. Celle du reflet du visage grimé de l'acteur que l'on découvre dans le miroir. C'est ce visage blanc qui accueille le public. Sa bouche est rouge. Il sourit.
« Rendre l'autre fou est dans le pouvoir de chacun » Harold Searles
« On se souvient maintenant qu'on est en éternité dans tes cendres, que cette émotion qu'on avait ressentie, elle est partout nommée la rage. »
Partons du postulat que Matthieu est un adolescent comme les autres.
Il grandit dans une petite ville portuaire en Europe.
Son père est peut-être marin pécheur.
Il passe beaucoup de temps seul avec sa mère. Et puis le père perd son job, se retrouve à la maison, ne cache plus totalement qu'il aime aussi les hommes.
La situation familiale se dégrade : manque de fric, crise conjugale.
La mère tombe en dépression.
Elle nie ses enfants, leur incombant la trop lourde responsabilité de sa vie ratée.
Quand la pièce commence, si l'on resitue le récit chronologiquement, Matthieu est déjà complètement détruit par sa mère, qui préfèrerait ne jamais l'avoir mis au monde.
C'est d'une violence inouïe.
Comment vivre alors ? Comment être, exister dans la négation maternelle ?
Matthieu essaiera de survivre dans ce monde hostile, se cachera sous son lit, derrière les vitres, se faufilera dans les galeries, s'agrippera aux gargouilles, calmera ses brûlures de ventre en apposant un oreiller froid dessus.
« La vérité, c'est qu'on n'avait jamais voulu la traverser la vie, comme un chien.
Ni devenir un déchet livré à lui seul, comme la femme qui ne voulait pas être la maman te l'avait crié. »
Il essaiera de pardonner à son père, rêvant qu'il le tiens dans ses bras, cherchera refuge auprès de sa sœur, bien trop occupée à se sauver elle-même, dira qu'il aurait voulu grandir, être un adulte.
« Une fois pourtant tu me l'avais dit que tu l'avais ressenti ce désir de grandir encore.
De devenir un grand toi aussi, un adulte, tu me l'avais dit pourtant que tu l'avais ressenti ce désir. »
Mais son combat est vain. Les cris dans la maison, les brûlures dans le ventre, le non-amour, sont toujours plus flagrants, et le rendent fou.
Le seul espace vivant, le seul relief à sa vie devient celui du jeu vidéo Batman – en 3D - que son père lui a offert.
Alors Matthieu vit la nuit quand tout le monde dort. Il joue aux aventures du Batman. Il y cherche un sens à sa vie, il y cherche le chemin à suivre.
Bientôt Batman va devenir son seul interlocuteur.
Cannabis, datura, hallucinations aidant, il va glisser dans un autre monde.
Un monde où la toute puissance de l'enfant qu'il est encore va pouvoir se développer.
Matthieu sait qu'il est en train de basculer. Il a une lucidité terriblement aiguisé de son état mental. Les allers-retours en hôpital psychiatrique n'y feront rien. Plus rien. Une autre drogue lui y sera dispensée, une camisole chimique qui ne fera que retarder son embrasement mental.
Matthieu est un petit animal traqué, telle la chienne qu'il martyrise et regrette ensuite d'avoir battue. La chienne qu'il avait contrainte à « coller son museau contre le sol où elle n'arrêtait pas de déféquer ».
Un petit animal traqué, vivant mal ses pulsions sexuelles, dans cet univers ou personne ne le prend jamais dans ses bras, ou l'amour c'est la masturbation, l'obligation d'avorter, « faire sa salope », les revues porno-gay de son père, et les films pornos prêtés par les copains.
Matthieu a la sensation d'être un monstre, un être hybride indigne d'amour.
« A force on avait pensé qu'on ne l'aimait pas Matthieu.
On avait pensé qu'on ne l'aimerait jamais. »
La vision qu'il a de son corps est fractale. C'est un corps brisé, bloqué, découpé, « cisaillé » écrit l'auteur. Un corps qui ne souffre pas, ne ressent pas la douleur.
C'est aussi un corps empathique et multiple qui servira à abriter les personnages guerriers de son jeu vidéo. Un corps dont le prolongement du bras n'est plus une main, mais le hachoir de la cuisine.
Progressivement, se jetant dans sa psychose à la recherche d'une émotion qui le rappellerai à la vie, les barrières distinguant la réalité des diverses formes de l'imagination disparaissent.¹
Il ne fait plus la différence entre sa vie éveillée et sa vie rêvée. Tout fait partie d'un continuum. Et les différentes frontières commencent à s'effondrer.²
On a la sensation que Matthieu comme Batman, a fait le serment de sauver la ville de ce qui la gangrène, de ce qui l'infeste. Alors il s'attaque à un copain de classe, et puis à sa mère qui prend l'apparence du Joker (l'ennemi de Batman), et puis finalement à lui-même. Logique, pourrait-on dire. Puisqu'on ne cesse de lui rappeler que c'est lui le poison, lui, qui n'aurait jamais dû être, et qui doit disparaître.
Lorsque la pièce commence, Matthieu est parti « […] quelque part. […] autre part. N'importe où » pour reprendre les termes qu'employait sa mère à son égard en lui demandant de partir.
Il est « blotti dans tes cendres », est « devenu comme des grains de sel », enfermé et seul dans une urne funéraire.
C'est depuis cet espace que la parole surgit chaotiquement.
C'est depuis cet espace qui semble se situer juste après la vie, juste avant que les mots ne s'envolent, que Matthieu se parle à lui-même, juxtaposant dans une apparente incohérence monologues intérieurs, fragments de répliques, et bribes de conversations qui formeront les pièces du puzzle de son histoire.
Histoire que le spectateur reconstituera dans le même temps que Matthieu.
Au moment où j'ai eu entre les mains les premières versions du texte, j'ai pensé à deux acteurs : Thomas Blanchard et Clément Bertani. La création s'est faite avec Thomas. Clément a repris le rôle en début de saison, sous l'œil bienveillant de Thomas appelé par le cinéma.
En les entendant dire le texte, j'entends une voix, pure, naïve, celle d'un adolescent en prise avec lui-même. Une voix parasitée par toutes les autres voix (celles du jeu vidéo qui l' « incitent », celles de sa mère, de son père) qui l'ont rendu fou.
Je mène depuis longtemps un travail sur la parole, et sur ce que l'on pourrait appeler « l'espace fou du langage ». Cet espace nous est à tous commun : nous entendons tous des voix, dans nos rêves. Comme nous nous parlons à nous-mêmes. Nous sommes tous fous au fond. Lacan dit « Tout le monde est fou ». Il pourrait parler de « fou dans le langage » je crois bien. « Tous fous dans le langage » pourrait-on dire.
C'est cette recherche et ce travail sur « l'espace fou du langage » qui nous permet non seulement de nous éloigner de tout pathos, et de tous clichés sur la folie, mais aussi de donner à chacun une vision intime de celle-ci, en relation avec lui-même, et ses propres voix intérieures.
Hélène Soulié
¹ / ² Sarah Kane – conservation avec des étudiants à propos de 4.48 / communiqué par Aleks Sierz, In-yer-Face Theater – British Drama Today, 2001
Les phrases en italiques sont extraites du texte – Un Batman dans ta tête – David Léon – Editions Espace 34
“En ce moment, c'est donc Un Batman dans ta tête qui se joue. Le comédien et la mise en scène font battre, jusqu'au vertige, le cœur de ce texte dont la matière pourrait être un cliché moderne, l'influence des jeux vidéo sur l'esprit d'un adolescent, si David Léon n'atteignait les zones où se nouent les troubles mortels d'une vie. C'est dur mais productif : remuant.” Le monde – Brigitte Salino
“Avec Un Batman dans ta tête, soliloque écrit par David Léon, Hélène Soulié, qui l'a mis en scène, confirme l'évidence d'un talent fertile qui nous était apparu lors de sa précédente réalisation du Petit Eyolf d'Ibsen. (…) En un mot comme en cent, Un Batman dans ta tête témoigne à l'envi d'un travail théâtral artistement pensé et vécu.” L'Humanité – Jean Pierre Léonardini
“ La mise en scène d'Hélène Soulié est un excellent contre-point au texte coup de poing de David Léon. On sort bouleversé de ce spectacle. ” France Inter – La minute de Stéphane Capron
“ Une émotion en profondeur. ” Libération – Carole Rap
“Trop de silence entoure l'écriture de David Léon. Il est temps de le rompre en plaçant, face aux micros de France Culture un écrivain dont les mots ne comptent pas pour rien. Des mots qui forent, avec acharnement et virtuosité, l'implosion des pensées, l'atomisation des consciences.” France Culture / Changement de décor – Joelle Gayot
Le monologue d'un adolescent schizophrène superbement interprété. Politis
C'est d'une beauté renversante. Theatrorama
Magnifique et violent. Froggy delight
Un électrochoc. Midi Libre
Une performance époustouflante. l'Héraut du jour
Le spectateur reste sous hypnose, entre rêve et réalité. La gazette de Montpellier